« Pense à l’enfer et tu seras heureux »

 

L’eschatologie chrétienne suggérerait en somme ceci : c’est cette volonté même de s’affirmer dans le temps, de construire pour soi, autour de soi quelque chose de durable, qui représente le mal, le péché par excellence. L’homme pécheur voudrait en quelque sorte faire barrage au flot du temps. Par la richesse, le pouvoir, le savoir même, il voudrait s’ériger lui-même comme un môle inébranlable que le cours du temps devrait contourner sans l’entamer. Mais l’enfer dévoilerait cette vanité. Figé par le trépas dans son attitude de refus du temps et d’affirmation stérile de son moi, le pécheur éprouverait dans sa chair cette vacuité et cette stérilité mêmes : le feu de l’enfer qui fuse à travers lui ne serait pas autre chose que le flux du temps à l’état pur et ce flux ne le tourmente que dans la mesure où, sourdement, obstinément, il continue à vouloir s’opposer à son passage. À celui qui prétend exister pour lui-même, séparé des autres et du monde, l’éternité divine se présente sous son visage terrible, celui du temps infini et dévorant.

Michel Hulin : La Face cachée du temps, cité par Georges Minois

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