Narapoïaque

Source : Blumroch, l’admirable ou le déjeuner du surhomme, par Louis Pauwels, éditions Gallimard.

— C’est Van Vogt qui a le plus intensément rêvé du surhomme mental. Ach ! Voilà un garçon qui écrit vraiment. Il place une idée neuve tous les huit cents mots. Il est persuadé que nous avons dans le crâne de quoi vaincre la chair, le temps et l’espace. Van Vogt et moi, nous sommes narapoïaques. 

— Vous dites ? 

— Narapoïaques. La société est encombrée de gens hargneux qui ne sont pas à leur place parce qu’ON leur veut du mal. C’est de la paranoïa. Van Vogt et moi, nous pensons que notre juste place est auprès des Dieux. Mais nous croyons que ça viendra parce qu’ON (l’évolution, le progrès) nous veut du bien. C’est la narapoïa. 

« Bref, nous sommes en route pour la condition surhumaine, si les petits cochons ne nous mangent pas. Ce danger n’est pas négligeable… 

— Comment l’entendez-vous ? 

— Si les moins intelligents continuent à proliférer tandis que les mieux doués s’abstiennent, le monde se trouvera dans la situation suivante : une élite minuscule s’exténuant à sauver du marasme 99% d’hébétés, ce qui renverrait aux calendes la condition surhumaine. A mon avis, l’intelligence n’est pas suicidaire. Elle est comme Dieu. Et Dieu peut tout. Sauf se suicider. Maintenant, pourquoi l’humanité s’acharne-t-elle à se déployer ? Dans quel but ? Vous avez encore un moment ? 

— Oui, on va prendre le café et j’ai tout mon temps. 

— Voici une histoire de Kurt Vonnegut. Un vaisseau spatial fait route, il traverse le cosmos. Une espèce super-intelligente s’en va saluer une autre espèce. C’est la mission des voyageurs : aller saluer. Bon. Ce vaisseau tombe en panne dans un système solaire dernière catégorie, sur une planète sans intérêt et qui contient un peu de soupe de vie. Comment trouver des pièces de rechange ? Les voyageurs activent un peu l’évolution de la soupe. Et puis, ils s’assoient et attendent cent millions d’années. 

« De la soupe est sortie l’humanité hyper-scientifique et technologique. Alors, les voyageurs peuvent réparer leur astronef et repartir. Le but du développement sur Terre était de permettre à des grands galactiques d’aller se faire des politesses. A mon avis, l’espèce humaine a sûrement un but, mais le connaîtrons-nous jamais ?