Salamandre

 

Dans sa prose, destruction et conservation vont main dans la main : les poèmes brûlent pour permettre à l’homme de survivre. L’épilobe fleurira sur les décombres de la Serpentine, effaçant les traces. Chalamov déploie son propre « complexe du feu », revenant sans cesse à la destruction de ses archives — le corps de l’œuvre — qui figure la sienne, celle du corps tout court. Dans les Carnets de 1963, nous lisons : « Jeanne d’Arc. Le bûcher l’a rendue immortelle, comme Bruno, comme Avvakoum. » En 1966, l’année où il termine le recueil Épilobe, Chalamov note : « Je dois m’immoler pour qu’on me remarque. » Mais comment pourrait-il se brûler, lui, le « dompteur de feu », la salamandre, qui, lors d’un grand incendie à Vologda, avait « franchi, enfant, sans obstacle ni effroi ces rues qui m’avaient laissé passer sain et sauf pour brûler et se consumer sutôt après ? »

Luba Jurgenson : Le Semeur d’yeux

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