« Das Schaudern ist der Menschheit bestes Teil »

 

Ill. : Julius Hallervorden (1882-1962). Texte : Le regard de l’anatomiste, dissections et invention du corps en Occident, par Rafaël Mandressi, éditions du Seuil, collection L’Univers historique.

Goethe s’était mis à fréquenter les cours d’anatomie du docteur J.F. Lobstein (1736-1784) à Strasbourg, afin de se libérer de « toute appréhension à l’égard des objets repoussants. » L’expérience lui fut, dit-il doublement utile, « parce qu’elle m’apprit à supporter les aspects les plus repoussants, tout en satisfaisant ma soif de science. » L’émerveillement du jeune Daldasar Heseler, pour qui le corps anatomisé était « très beau à voir », la soif de science de Goethe et de Léonard, la mission de jeter les fondements de connaissances utiles qui est celle de l’anatomiste selon Vicq d’Azyr, aident à surmonter le dégoût que provoque « l’appareil affreux de la mort. »

Car il faut manipuler cette chair, y mettre littéralement la main, comme Vésale qui, à Bologne en 1540, enfonce ses doigts dans la substance du cerveau, ou saisit de sa main gauche l’intestin pour le dérouler jusqu’à trouver le rectum, puis prend celui-ci de la main droite et enlève le tout. Il faut le faire, en outre, de manière extrêmement prudente, puisque c’est non seulement répulsif, mai aussi, comme le souligne Vicq d’Azyr, dangereux. « Nous ne devons pas oublier ici de donner à ceux qui travailleront à la dissection, un avis très important », prévient Joseph Lieutaud : « c’est d’avoir la plus grande attention à la propreté des cadavres, de ne jamais les quitter pour les reprendre sans les avoir bien lavés et séchés : sans cette précaution, on ne se garantira pas de l’infection. On doit encore, après la première ouverture du bas-ventre, enlever les boyaux, en ne laissant qu’une petite portion du rectum, qu’il faut vider et laver avec le plus grand soin, avant que d’en liée l’extrémité coupée. L’eau-de-vie ne doit pas être épargnée, il est même bon d’en arroser de temps en temps toutes les parties découvertes, sans parler des parfums et autres petits soins qui peuvent préserver des grandes maladies. »

La matière morte peut en effet se révéler létale et entraîner éventuellement la mort du dissecteur si par accident i lest blessé à la main, par exemple, en maniant le scalpel. La propreté est donc essentielle, quoique difficile à maintenir. On a beau raser, laver, nettoyer le cadavre, il ne tardera pas à suinter à nouveau, les fluides, les excréments s’en échapperont des cavités et des conduits. Des parties à la consistance amollie dégoulineront inopinément, comme cela arriva en présence de Félix Platter à Montpellier, qui assista le 10 novembre 1555 à une séance d’anatomie « où l’on disséqua une vieille femme morte d’apoplexie. En lui ouvrant les os du crâne et l’enveloppe du cerveau, la cervelle s’échappa comme de la bouillie d’amidon et inonda la figure. »

On y appliquera des éponges, on versera ces superfluités dans des seaux. On disposera également de paniers pour y jeter les parties déjà examinées, tranchées et extraites : les viscères, les morceaux de muscle, la langue, la graisse, les bouts de cervelle, un œil — des débris dont il sera nécessaire par la suite de se débarrasser.

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