Neuro Habitat

 

Pris sur Academia.edu. Brève histoire de l’archivage du cerveau par Cathy Gere (2003), Journal of the History of the Neurosciences, traduction de l'anglais et chapô par Neûre aguèce, no copyright infringement intended.

« L’anatomie est porteuse d’un projet de fragmentation auquel ses instruments, sa démarche concrète, ne sont pas étrangers et qui finira par défaire la compréhension du corps en termes unitaires. »

Rafaël Mandressi : Le Regard de l’anatomiste

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Introduction.

Pendant près de deux cents ans, le cerveau humain une fois prélevé était préservé dans un « musée » ; de nos, jours, il existe des banques de cerveaux. Cette évolution d’un terme à l’autre pour une même pratique post-mortem en exige un troisième et qui récapitule cette évolution.

Pour l’historien, ce laborieux enquêteur de catalogues, de correspondances, de journaux intimes, le terme « archives » semble tout indiqué. En l’occurrence, les « archives du cerveau » impliquent une collection à l’abri du temps, une trace d’existences évanouies ; ce que nous désignons par « individu » se résume à ce bref scintillement à la crête des vagues.

Archiver la matière grise, les tissus humains est une pratique qui relève à la fois de contraintes économiques et légales, mais aussi de la technologie et des laboratoires.

Au dix-septième siècle, un anatomiste hollandais, Frederik Ruysch, fut le premier à collecter les mort-nés auprès des nourrices dont il supervisait le travail ; un siècle plus tard, le responsable de la plus célèbre école d’anatomie londonienne dépendait encore de profanateurs de sépultures pour lui fournir la matière brute de son musée.

Pendant un siècle et demi, les tissus humains provenaient de la mort des pauvres, des indigents, de tous ceux qui étaient privés de soins médicaux. Mais à partir du milieu du vingtième siècle, la sociologie du corps médical commença à changer, de sorte que les banques de cerveaux actuelles dépendent aujourd’hui essentiellement de patients qui ont fait don de leur corps à la science.

L’Art anatomique, 1660-1789.

L’histoire de l’archivage des cerveaux commence avec Frederik Ruysch (1638-1731), chirurgien, obstétricien, anatomiste au service de la cité d’Amsterdam de 1667 à sa mort.

Ruysch fut le premier à développer une technique de préservation des tissus mous et des corps spongieux du corps humain. Il leur injectait une préparation de cire et de vermillon dans les veines et les artères après quoi il immergeait les spécimens dans un alcool qu’il distillait lui-même. Vers la fin des années 1660, il orienta sa méthode à des fins plus « exotiques » en contribuant à l’esthétisme baroque de la vanité.

La peinture de l’époque associait les symboles de la fugacité de toute chose, les bougies consumées, les crânes, les sabliers, avec les emblèmes de la résurrection : les papillons, les couronnes de lauriers ou de lierre. Le cabinet privé de Ruysch regorgeait de collections anatomiques, des centaines d’artefacts, y compris des cerveaux humains, dont il se servait pour  enseigner.

Les entrées de son Thesaurus Anatomicus en dix volumes constituent un catalogue illustré ; elles nous renseignent sur les difficultés rencontrées. Une seule entrée porte sur le cerveau : le cinquième volume comprend un croquis de l’intérieur du crâne d’un enfant, avec la dure-mère intacte, injectée de cire rouge pour rendre visible le système artériel.

Outre son thesaurus, l’anatomiste publia une série de lettres qui révèlent sa correspondance avec des confrères sur des sujets précis. Ainsi, dans la douzième série, en réponse à une question sur le cerveau, Ruysch se lamente sur la tendresse, la délicatesse, la fragilité extrême des tissus cérébraux, qui se décomposent presque de suite. Pour mieux valoriser son art, il illustre la lettre d’un magnifique dessin du tronc cérébral d’un enfant de dix ans, vu du dessous, dans sa partie interne. 

En 1717, Pierre le Grand fit l’acquisition de la collection complète de Ruysch pour la coquette somme de 30.000 florins, ce qui nous donne une idée de la valeur d’échange de ces pièces d’anatomies qui circulaient alors sur un marché tout récent. Un musée anatomique constituait alors un outil pédagogique indispensable pour répondre aux besoins des écoles qui ouvraient alors à Paris, à Londres, à Edimbourg dans le contexte de la professionnalisation de la chirurgie.

Vers le milieu du siècle, près de trente écoles furent fondées à Londres, ce qui entraînait une concurrence féroce pour obtenir des spécimens à disséquer. Il n’était pas rare que les ventes aux enchères proposaient des collections privées.

En décembre 1787, [le chirurgien et naturaliste Thomas] Hutchins évoque douze soirées de ventes aux enchères « de collections de haute valeur d’utérus gravides, moulés sur le vif, colorés par des tracés anatomiques, dignes de faire partie d’un musée d’histoire naturelle. » Ce business florissait mais avec un revers plus macabre encore, une sorte de marché noir cadavérique.

En Grande-Bretagne, le nombre de pendus fournis aux académies était strictement règlementé et limité à douze par an, délivrés à la Compagnie des Barbiers et Chirurgiens, au Collège de Médecine ainsi qu’à l’Université de Cambridge. En 1728, le parlement refusa de voter une augmentation de ce nombre et il faudrait attendre 1752 pour que le « Murder Act » confère aux juges le droit d’inclure, à leur convenance, le don du corps à la science dans le verdict du condamné à mort. Toutefois, cet amendement eut peu d’effet sur la demande et les dérives qu’elle entraînait.

La plus célèbre école d’anatomie londonienne, la Windmill School, ainsi baptisée d’après le médecin écossais William Hunter (1718-1783), ouvrit ses portes en 1746 et s’enorgueillissait d’un vaste fonds nosographique, pathologique et zoologique. Hunter avait consacré toute sa fortune à l’acquisition de spécimens, en rachetant les collections de particuliers. Dans une de ses rares conférences publiées, il fait discrètement allusion à sa dépendance auprès des trafiquants de cadavres :

« Pour parvenir à donner un cours d’anatomie avec succès, il faut compter sur un certain nombre de sujets fraîchement exhumés ainsi que sur un stock de préparations… Pour ces raisons, nous pouvons conclure qu’un cours complet d’anatomie ne peut être donné que dans une métropole, sous réserve d’un approvisionnement régulier en cadavres, »

Le fonds Hunter paraît bizarrement hétéroclite à la sensibilité moderne : outre les pièces anatomiques proprement dites, on y trouve non seulement des fossiles, des minéraux, des pièces de monnaie, des livres, des tableaux et d’autres œuvres d’art, mais la classification s’organise selon la systématique du corps humain et de ses constituants, à des fins à la fois pédagogiques et édifiantes, pour le public de ce qui constituait alors l’école la plus réputée du pays.

Dans ses Leçons inaugurales, Hunter exposait la nécessité d’une planification rationnelle qui convertirait l’anatomie humaine en une expérience de pensée dont le cerveau représentait l’apex, au propre comme au figuré.

« Dans notre imagination, faisons l’homme. En d’autres termes, supposons que l’esprit, ou le substrat immatériel, doive prendre place dans la machine humaine, et que cette incorporation s’agence en conformité avec son environnement matériel, alors, il nous faut considérer a priori quel emplacement serait le plus adéquat… pour procéder ainsi, il nous faut disposer l’âme, l’esprit, la chose pensante, dans un endroit fixe, lequel satisfera à toutes les conditions de l’union du corps et de l’esprit ; le cerveau fournit cet emplacement privilégié pour le principe immatériel, tel le directeur et superintendant de toute l’usine. »

Le corps humain tout entier se constitue comme un appareil doté des sens qui permettent à l’esprit de « s’agencer en conformité avec son environnement matériel », irrigué de nerfs qui « transmettent leur volonté et impulsion dans l’organisme. » Bien qu’il ait défini « quel serait l’emplacement le plus adéquat » pour l’esprit humain, le cerveau  était toujours considéré comme un organe dont la préservation s’avérait très délicate.

En 1813, un manuel de dissection donnait encore cette recommandation laconique pour traiter ce sujet récalcitrant : « … réalisez une ou deux perforations de trépan, n’importe où sur la face postérieure du crâne ; brisez l’os avec un marteau, extrayez un fragment de matière cérébrale, pompez de l’eau à l’intérieur pour la mélanger au cerveau qui s’évacuera ainsi facilement. » — Instructions anatomiques, par T. Pole, éditeur J. Callow

Hunter et les siens n’incluaient donc pas beaucoup de cerveaux dans leurs collections. À la fin du 19e siècle, John Teacher, un anatomiste de l’Université de Glasgow rouvrit et inventoria le musée de William Hunter, et il y découvrit près de cinquante préparations de cerveaux humains dont la plupart apparaissaient sains, en bon état de conservation, injectés de fixateur, disséqués afin de révéler leur architecture intérieure, souvent à l’aide de fines tiges noires qui indiquaient les éléments significatifs ou fragiles.

Le spécimen « Medulla Oblongata et Crura du Cerebrum et Cerebrellum » se présente par exemple avec une tige qui traverse le « troisième ventricule vers l’aqueduc de Sylvius » et un autre qui passe « sous la commissure postérieure jusqu’au troisième ventricule. »

Tout comme le reste de ses collections, les spécimens cérébraux visaient davantage l’anatomie que la pathologie, à une exception près : « La dure mère d’un patient depuis longtemps affecté de la danse de Saint-Guy ; une membrane très épaisse, calcifiée entre la dure mère et le cerveau, s’est retournée et ne couvre plus qu’un hémisphère, sans doute à la suite d’une forte inflammation. »

Les spécimens pathologiques n’occupaient pas encore une place prépondérante. Hunter lui-même les considérait comme des curiosités, plus que comme des sujets d’étude nosographique ; il les rangeait en gynécologie comme « des exceptions diverses, organes improprement formés ou malades et contenus dans l’utérus. »

Tout allait changer au dix-neuvième siècle.

L’émergence du monisme. (1789-1900)

La Révolution française confisqua les biens du clergé pour les remettre entre les mains de l’État et les médecins parisiens y virent la chance d’instaurer une nouvelle médecine, analytique. Les cadavres des morgues des milliers d’hôpitaux allaient fournir le matériel expérimental pour établir des diagnostics révolutionnaires, basés sur la concordance des symptômes avec les lésions ou inflammation révélée par les autopsies.

Ce changement de mentalité allait régler près d’un siècle et demi de pratique médicale en Europe. Jusque-là, l’autopsie était étroitement liée à la peine capitale : jusqu’au milieu du vingtième siècle encore, les corps des condamnés à mort ou ceux des indigents dont personne n’avait réclamé la dépouille fournissaient le support aux expérimentations, démonstrations et préparations.

À partir du Traité des membranes (1800) de François-Xavier Bichat, le centre d’attention se focalise sur les tissus : la nouvelle médecine s’intéressait en particulier à la cage thoracique. Le cas d’école le plus célèbre étant la corrélation entre les symptômes de tuberculose et les lésions pulmonaires, révélée grâce à l’invention du stéthoscope de Théophile Hyacinthe Laennec.

Néanmoins, il faudrait attendre le milieu du dix-neuvième siècle pour que les cerveaux conservés dans les hôpitaux parisiens deviennent l’enjeu d’une vaste controverse scientifique : la querelle de la localisation.

Comment Paul Pierre Broca (1824-1880) parvint-il à forcer l’acceptation de ses thèses, avec tous les pro- et contra-, reste une énigme historique. Anne Harrington évoque : « le triomphe du modèle neurologique de Broca ne peut être compris sans sa pratique clinicienne, ni sans de nombreux facteurs sociologiques et philosophiques. » En tout cas, Broca fut le premier à recourir au musée anatomique et pathologique, pour étayer ses thèses. Le fonds sur lequel il se basait était celui constitué en 1834 grâce au legs du célèbre chirurgien Guillaume Dupuytren.

Ce dernier avait tout d’abord rédigé son testament pour que l’on créât une chaire de médecine à son nom, grâce à un don de 20.000 francs. Sur son lit de mort, il changea d’avis et un codicille consacra cette somme à la fondation d’un musée d’anatomie pathologique. Cette institution serait installée dans l’ancien réfectoire du Couvent des Cordeliers où avaient été jusque-là entreposées des collections dispersées dans les facultés de médecine. Le fonds s’accrût rapidement : le premier catalogue, établi entre 1836 et 1842, recensait près d’un millier de spécimens ; à la fin des années 1870, le musée comptait près de six mille pièces.

Le 18 avril 1861, Broca se procura le cerveau d’un patient aphasique auprès de la Société Anthropologie, qu’il avait lui-même fondée en 1859. Le débat faisait alors rage sur la localisation des zones du cerveau et Broca parvint à faire la démonstration que la destruction des régions du lobe frontal entraînait la perte du langage.

Apparemment, il était particulièrement soucieux de l’importance historique du spécimen dont il s’était servi : « Je n’ai pas exploité les parties les plus profondes, de crainte d’abîmer ou de détruire le spécimen qui, selon moi, a sa place au Musée. » Cette enquête serait suivie par une autre, auprès d’un autre patient décédé. « Je ne cache pas ma surprise, proche de la stupéfaction, lorsque je me suis aperçu que la région lésée était exactement au même endroit que chez le premier patient. » Broca continua à prélever les cerveaux des aphasiques du Musée Dupuytren.

Après quelques années, le praticien se rendit compte d’un autre phénomène : dans tous les cas de lésion de la troisième circonvolution cérébrale, on constatait une aphasie et la lésion se trouvait toujours dans l’hémisphère gauche. À mesure des comparaisons effectuées dans cette collection qui avait survécu au temps, un motif commençait à apparaître qui contredisait toutes les idées reçues sur la symétrie du cerveau.

En 1878, le conservateur du musée, Charles Nicolas Houel établit un catalogue exhaustif. Le troisième volume du catalogue contenait une section intitulée « Lésions du Cerveau » et qui présentait plusieurs mentions concernant la localisation des fonctions.

« Neuf pièces du musée, numéros 55, 56, 60, 68, 69, 70, 72, 73, 76, sont des exemples de lésions de l’hémisphère gauche et dans tous les cas, y compris dans le numéro 51, une aphasie a été détectée. Pour ce qui est du numéro 71, on constate un ramollissement de l’hémisphère gauche et du lobe pariétal avec une pseudo-aphasie… Le numéro 61 présente un cas de lésion de la troisième circonvolution frontale, sans pour autant constater d’aphasie. »

Cet « impératif catalographique », pour employer l’expression de Stephen Jacyna, traduit une volonté de standardisation et Houel rédigea une entrée dans laquelle il décrit la nature de l’aphasie qui avait frappé « le brigadier du douzième de Cavalerie, âgé de 25 ans, à l’occasion d’un traumatisme reçu à la tête, lors de la bataille de Buzancy, le 28 août 1870. »

« Interrogé, le patient comprit la question qui lui était posée et lorsqu’il tenta de répondre, après quelques secondes d’hésitation, il réagit par des mimiques pour signifier qu’il n’arrivait pas à parler et ce fut au prix d’un énorme effort qu’il parvint à prononcer les mots oui et non. De même, il n’arrivait pas à lire à voix haute ni à lire pour lui-même. Il ne comprenait rien du texte qu’on lui avait présenté sous les yeux. Bien qu’il se montrât capable d’écrire les mots, presque correctement, il les copiait lettre par lettre. »

Le diagnostic comporte la phrase essentielle : « toute la matière cérébrale est intacte, excepté la troisième circonvolution qui comporte un énorme abcès. »

À l’époque, l’étude systématique de l’aphasie était mal reçue : l’origine matérielle du langage faisait affront à la théologie. En 1868, sous le Second Empire, une controverse éclata au Sénat au cours duquel le clergé, rallié par l’aile droite, s’en prit à la Faculté de Médecine en l’accusant de propager l’athéisme, le matérialisme, la négation de l’âme humaine et le blasphème. Il n’empêche : ces progrès laissaient espérer une meilleure compréhension du cerveau et de ses troubles. Au cours du dix-neuvième siècle, apparurent les premières archives consacrées à la matière cérébrale.

En 1866, l’Asile de West Riding, à Wakefield, dans le comté du Yorkshire, nomma un nouveau superintendant, le psychiatre écossais James Chrchton-Browne (1840-1938) qui transforma l’institution en centre de recherche neurologique. Un nom illustre devait bientôt en émerger : le neurologue David Ferrier (1843-1928), un Écossais lui aussi, mena de nombreuses expériences de vivisection, mais aussi des autopsies de patients qui l’aidèrent à corréler les symptômes de différentes pathologies.

En 1872, Crichton-Browne nomma un pathologiste au sein de l’Asile, ce qui était alors extraordinaire.

« La nomination d’un pathologiste, se justifie-t-il, est une étape nécessaire dans l’avancée du progrès scientifique pour tous les Asiles d’aliénés de ce pays. Pour ma part, j’ai bien conscience qu’aucun autre asile n’a encore promu un spécialiste de ce genre, mais il subsiste peu de doutes que ce sera bientôt la norme dans d’autres pays, ce qui aura pour conséquences un accroissement de nos connaissances sur les pathologies cérébrales et sur les manières de les soigner ou de les prévenir. Il serait bon que notre pathologiste réalise toutes les autopsies de notre institution afin de constituer un Musée dont le projet est à l’étude… des investigations chimiques et microscopiques élucideront les points restés obscurs qui sont encore nombreux et qui contribuent malheureusement à plonger notre discipline dans les ténèbres cimmériennes. »

Dans les années  1890, William Lloyd Andriezen, le pathologiste de l’Asile de West Riding, réunit une collection de près d’une centaine de cerveaux humains, sans doute la première du genre en Grande-Bretagne. Les archives de West Riding ont conservé un article d’Andriezen dans lequel on retrouve des éléments de théorie de la dégénérescence, typiquement fin-de-siècle, mais aussi une « doctrine du neurone. »

Andriezen commence par saluer les récents progrès qui « traitent la folie comme une maladie ordinaire et l’esprit comme une fonction cérébrale, présente chez tous les animaux en proportions diverses. » Il poursuit en établissant quatre lignes d’étude : la doctrine de la localisation ; la doctrine des trois degrés d’évolution du système nerveux central ; la méthode comparative et sociologique ; la théorie de la dégénérescence, associée à des études ethniques et atavique.

Les matériaux de son étude se basaient sur « près d’une centaine de cerveaux humains, systématiquement préparés et autopsiés par le signataire au cours des deux années qui viennent de s’écouler. Il n’existe à ma connaissance d’aucune autre enquête sur le sujet, bien que les résultats de mes recherchent portent sur des spécimens qui ont été présentés à d’autres. Les cerveaux ont été préparés par fixation et sublimation d’alcool, puis par diverses teintures d’aniline… sur le récent modèle de congélation puis de teinture bleu-foncé développé par Bevan Lewis. » 

Après une longue évocation de la « psychogenèse » des tissus cérébraux chez les félidés, Andriezen annonce qu’il complètera ses travaux en étudiant le processus inverse, « comment la pathologie naît, se développe et évolue, à quel rythme elle affecte le système nerveux et le reste de l’organisme. »

Ensuite, il affirme son intention de se restreindre « aux maladies mentales induites par l’alcoolisme » en raison « de l’évidence et de la simplicité des causes qui les provoquent, de leur nosographie établie de longue date, et de l’abondance ce sujets de recherche dans le domaine clinique, ce qui est heureux pour la discipline pathologique. »

Les effets de l’alcool sur le tissu cérébral sont, selon lui, « spécifiques et profonds » ; il établit une liste de symptômes dans leur ordre d’apparition, à partir de l’amnésie jusqu’à « l’estompement des normes morales et éthiques » pour finir avec la mélancolie, la paranoïa et diverses affections chroniques. Dans chaque cas, il cherche à établir une corrélation entre les symptômes cliniques et se livre à des descriptions simili-poétiques de transformation des cellules observées au microscope : « bouillon protoplasmique où vibrionne une vie spectrale. »

Les conclusions de Broca sont typiquement fin-de-siècle avec leurs vertigineux raccourcis et leurs références à l’hérédité et à la dégénérescence : « Les alcooliques présentent un lourd passif héréditaire d’épilepsie, d’intempérance et de conduites criminelles. »

Diagnostic prématuré. (1871-1945)

Dans le pronostic d’Andriezen, la terminologie finiséculaire de la dégénérescence occulte d’autres développements encore moins éthiques que l’on pourrait qualifier de « diagnostic prématuré », et qui consistent à biologiser des phénomènes sociaux ou des comportements, en dehors de leur causes biologiques stricto sensu. Un diagnostic qui devait mener à des programmes d’eugénisme et d’euthanasie en Europe, et évidemment sous le Troisième Reich.

Le débat de la localisation auquel Broca participa en 1861 avait commencé par un tout autre débat : existe-t-il une corrélation entre l’intelligence et la taille du cerveau ? Broca penchait pour l’affirmative et vers la fin du dix-neuvième siècle, la recherche de marqueurs biologiques quantifiables était l’Arlésienne des sciences humaines. À mesure que les puissances européennes poursuivaient leurs visées colonialistes et que leurs gouvernements affrontaient la question socialiste et féministe, le débat sur la taille du cerveau fournissait des munitions pour justifier les hiérarchies sociales.

Parmi les partisans de la thèse taille/intelligence, figure l’anatomiste prussien Samuel Thomas Soemmerring (1755-1830). En 1784, sur base d’autopsies de cerveaux d’Africains, il publie un traité sur les différences entre Européens et Maures dans lequel il établit que les Africains ont des plus petits cerveaux que les Européens, ce qui expliquerait leur manque de haute culture.

Les pauvres, les indigents, morts dans les refuges, alimentaient également le débat sur l’hérédité et la race tandis que les crânes des célébrités, collectés par les « sociétés médicales » assuraient une forte représentation des neurologues parmi les modèles de l’homme blanc. L’examen du cerveau des hommes illustres connut un acmé lorsque le neurologue de Göttingen, Rudolf Wagner (1805-1864) étudia le cerveau de son collègue, le mathématicien Carl Friedrich Gauss (1777-1855) et qu’il s’aperçut que les circonvolutions de son cortex étaient étrangement nombreuses et profondes.

Cinq chercheurs de l’Hôpital où Wagner travaillait autorisèrent l’examen de leur cerveau post-mortem, mais les résultats furent décevants. « Une blouse de médecin ne constitue pas nécessairement un certificat de génie, ironisa Broca : je me suis laissé dire que certaines chaires de Göttingen pourraient être occupées par des personnes pas aussi remarquables que ça. »

Les investigations neurologiques de Wagner s’inscrivaient dans un contexte de hiérarchisation raciale : les Allemands au sommet et les Africains tout en bas. Robert Bennet Bean (1874-1944), alors professeur à l’Université du Michigan, postulait qu’il existait « une différence de taille et de forme entre le cerveau d’un européen blanc et celui des nègres. » Bean se basait sur les collections de son temps, notamment celles de l’Hôpital universitaire John Hopkins, entre autres du département Pathologie, voire de la propre collection de Bean, à laquelle il fallait ajouter « les cerveaux d’Allemands, fournis par le laboratoire berlinois du Professeur Waldeyer. »

Cependant, les recherches de Bean le détrompèrent rapidement : non, il n’existait pas de différence de taille ou de poids entre le cerveau d’un Noir ou d’un Blanc. Il rédigea une annexe à ses travaux dans laquelle il affirmait : « Tant de facteurs entrent en compte que nous pouvons nous demander si ce débat taille/poids/intelligence a encore un sens. » Mais il relativisait sa déception : « Des nègres errent à travers tout le pays, sans domicile fixe, et cela en bien plus grand nombre que les Blancs et ce choix plus vaste pourrait expliquer la meilleure qualité des spécimens dont nous héritons. »

Les spécimens anonymes de Bean contrastent avec les cerveaux des collectés en 1907 par Edward Anthony Spitzka (1876-1922), professeur d’Anatomie comparée au Jefferson Medical College. Dans son article intitulé « Une étude des cerveaux de six éminents scientifiques et universitaires de la Société Anthropométrique américaine », il louait le « courage et la sagesse d’un petit nombre de penseurs qui ont contribué au progrès scientifique en léguant leur cerveau à la science, pour qu’ils soient examinés par des organismes comme la Société d’Autopsie Mutuelle de Paris, fondée en 1881. »

Hélas, la récolte n’était guère convaincante : en Suède, une initiative semblable ne livra que deux cerveaux… ceux des fondateurs et même la société parisienne n’obtint qu’une dizaine de spécimens en un quart de siècle. Quant à la Société Anthropométrique américaine, elle ne détenait que huit cerveaux, dont celui du poète Walt Whitman qui s’éparpilla sur le sol, suite à une maladresse d’un laborantin. L’Association Cornell, sous la direction du professeur Burt G. Wilder (1841-1925) était mieux pourvue en nombre, moins en « qualité » puisqu’il s’agissait d’environ soixante-dix cerveaux de « personnes ordinairement éduquées. »

Spitzka entreprit une recherche sur 130 hommes célèbres et 4 femmes, avec des études comparatives de leurs cerveaux, des évaluations de leur intelligence, de leurs capacités intellectuelles, de leurs qualités morales, afin de parvenir à une corrélation. L’historien George Grote, auteur d’une Histoire de la Grèce (1846) qui fit référence, avait exprimé de son vivant le souhait que « son cerveau soit attentivement examiné et pesé, afin de déterminer sir le cerebellum n’était pas abîmé comparé avec le cerebrum. »

En clair, cette requête, formulée en 1817, visait à déterminer si ses « hautes facultés intellectuelles » ne s’étaient pas développées au détriment des inclinations plus primitives du cerveau inférieur. La vanité de Grote fut sans doute satisfaite à titre posthume lorsque John Marshall déclara que « son cerveau était un modèle d’organisation et de perfection. »

La Société d’Autopsie Mutuelle opérait selon des critères raciologiques. Ainsi, l’article de Spitzka consacré à l’évolution comportait des illustrations chronologiques où un cerveau de non-blanc apparaissait entre deux autres, respectivement celui d’un primate et d’un homme illustre, le physicien et mathématicien Siljeström. Il n’existe qu’un seul croquis où un cerveau non-européen est identifié : la figure 3, page 225, qui porte la mention « cerveau de Sartjee » ou « Vénus Hottentote » mais ce spécimen est contigu à celui de « l’orang-outang Rajah » et cette proximité ne visait évidemment qu’à souligner l’infériorité prétendue des populations non-blanches.

En 1909, l’anatomiste et pathologiste américain Franklin Mall (1862-1917) publia « De plusieurs caractéristiques anatomiques du cerveau humain et de ses prétendues variations selon la race et le sexe, en particulier le poids du lobe frontal. » Il y réfutait les théories de son élève Robert Bean et recourait à un critère de sélection à l’aveugle : il ne savait pas par avance à qui les cerveaux qu’il autopsiait appartenaient, afin d’éviter les biais méthodologiques de ses prédécesseurs.

Néanmoins, ces biais raciaux devaient atteindre leur paroxysme au cours de la Seconde Guerre mondiale, en Allemagne. L’hygiénisme racial affirmait la primauté des facteurs génétiques et biologiques dans les comportements humains les plus complexes. En 1934, Rudolf Hess déclarait : « le national-socialisme n’est que de la biologie appliquée. »

Et c’est ainsi qu’en Allemagne, en 1939, un comité médical fut institué pour réaliser un programme d’euthanasie sur les « vies indignes d’être vécues », indignes selon les critères des architectes du Troisième Reich. Six centres furent établis, notamment à l’hôpital psychiatrique de Brandenburg-Görden où le célèbre neurologue Julius Hallervorden (1882-1965) pratiqua pendant toute la Seconde Guerre mondiale.

Hallervorden, membre du NSDAP, allait exploiter les résultats du programme d’euthanasie AktionT4. En décembre 1942, il rédige un rapport à l’Association Allemande de Recherche dans laquelle il se félicite : « Au cours de l’été, j’ai disséqué près de 500 encéphales de faibles d’esprit. » En 1944, Hallervorden écrivit au Professeur Paul Nitsche, responsable en chef de l’AktionT4 : il dénombre avoir reçu 697 cerveaux, « y compris ceux qui j’ai personnellement sélectionnés à Brandenburg. »

Après la guerre, Hallervorden décrivit sa collection à Leo Alexander, consultant au Tribunal de Nuremberg :

« J’avais appris qu’ils se préparaient à cela. Je suis donc allé les trouver en leur disant : écoutez, messieurs, si vous comptez tuer tous ces gens, prenez au moins leurs cerveaux pour que nous puissions les employer. Nous avons récolté des matériaux de la première importance : parmi ces cerveaux, beaucoup étaient atteints de pathologies, de malformations infantiles. Ils m’ont demandé : combien pouvez-vous en disséquer ? Je leur rai donné une estimation volontairement basse et ils sont revenus avec une ambulance pleine de casiers de 150 à 250 exemplaires… J’ai obtenu du fixatif, des bocaux, des armoires et des instructions pour commencer à procéder. »

Après guerre, la collection fut entreposée à l’Institut Max Planck mais il faudrait attendre 1989 pour que tous les spécimens collectés entre 1933 et 1945 reçoivent l’inhumation à laquelle ils avaient droit.

En février 1989, la Collection Hallervorden, étroitement rangée, comptait près de 10.000 bocaux : ils furent incinérés et leurs cendres enterrées dans un cimetière de Munich où une stèle leur est consacrée.

Optimisme thérapeutique : 1900-2000.

Une autre méthode d’archivage du cerveau se développait au début du vingtième siècle et c’est elle qui allait s’imposer à tous les spécialistes. Le neurochirurgien américain Harvey Cushing (1869-1939) réalisa des prélèvements sur des patients, parfois post-mortem.

Cushing avait étudié en Europe et visité la collection Hunterian à l’Université de Glasgow. Dans sa correspondance privée, il se congratule sur cette « merveilleuse découverte » et ajoute : « Il y avait là des préparations, des systèmes nerveux en bon état, mais j’en ai vu assez peu. Les injections sur les bords de la pie-mère étaient particulièrement réussies, elles couraient sur une longueur de deux centimètres, ou plus, et débordaient sur les circonvolutions intérieures. »

Selon J. Fulton, le biographe de Cushing, cette découverte fut décisive pour le scientifique et stimula sa bibliophilie et sa fièvre de collection.

Après son voyage d’étude en Europe, Cushing revint à son poste de chirurgien à l’Hôpital John Hopkins où il se spécialisa dans les troubles du système nerveux central. Peu après son retour aux États-Unis, il échoua à diagnostiquer un kyste sur la glande pituitaire d’un de ses jeunes patients et découvrit que le département de pathologie n’avait pas conservé la matière cérébrale du défunt, après son autopsie.

Par la suite, Cushing insista pour obtenir la charge d’entreposage et d’étude de tous les encéphales prélevés qui porteraient des traces de lésions intracrâniennes suite à des interventions chirurgicales.

En 1910, il fut nommé Chirurgien en Chef à l’Hôpital Peter Bent Brigham où il s’occupa des indigents ; en novembre de la même année, il pressa l’institution d’adopter un règlement d’ordre intérieur pour que « l’admission de chaque patient et de ses proches ne soit autorisée qu’après acceptation des intéressés d’un legs de leur corps à la science, pour qu’une autopsie post-mortem soit réalisée, dès lors que le personnel en ressentirait la nécessité impérieuse. »

Ce projet fut abandonné au profit d’une « pression » exercée sur les patients et les membres de leur famille et c’est ainsi qu’il obtint, selon ses propres estimations, « une réponse positive de plus de 90 patients. » Cushing insista pour conserver les cerveaux des cadavres disséqués en plus de sa propre collection de tumeurs, extraites par ses soins.

En 1932, lorsque Cushing prit sa retraite, la question se posa de savoir quoi faire de cette collection : on suggéra la création d’un registre des tumeurs au cerveau. L’Université de Yale avait proposé à Cushing une chaire de neurologie et lors de son déménagement à New Haven, il avait emporté sa collection avec lui. Les archives se composaient d’environ 2000 spécimens de tumeurs, ainsi que de près de 15.000 négatifs photographiques.

Cushing avait établi un dossier personnel pour chaque entrée avec un luxe de détails : la fiche d’un patient de 13 ans, atteint d’une tumeur au cerveau, comporte près de 25 pages de description, y compris du déroulement de l’opération, sans oublier une photographie avant et après le traitement, ainsi que la correspondance du patient à sa mère dans laquelle il narre ses complications.

En 1939, après la mort de Cushing, la collection continua à s’agrandir sous la surveillance du Dr Louise Eisenhardt, la première femme neurologue, et qui fut responsable du Journal de Neuro-Chirurgie jusqu’en 1960. À partir des années 70, l’intérêt scientifique pour de telles archives diminua et le registre fut consigné dans le sous-sol de l’internat du département médical de l’Université de Yale où il devint une sorte de légende parmi les internes. Actuellement, un projet est en cours pour fourbir de nouveau la collection qui s’est révélée d’un précieux intérêt historique.

Les neurosciences s’épanouirent après la Seconde Guerre mondiale et cet intérêt correspondit avec un accroissement de l’archivage cérébral. Selon un récent inventaire des collections de tissus humains, le Ministère de la Santé britannique a déterminé que sur les 54.300 organes détenus par les différents services et institutions médicales du pays, 23.900 étaient des cerveaux, soit près de 44% de l’ensemble.

Dans les collections « muséales » d’avant 1970, y compris un musée de la médecine fondé au dix-neuvième siècle, les cerveaux représentaient un bon cinquième des spécimens. Cette prédominance s’explique sans doute pour des impératifs techniques : avant une dissection, un cerveau exige une préparation d’une semaine, ce qui signifie qu’il ne peut être remis en place avant l’enterrement du donneur, au contraire des autres organes.

Dans les années 60, l’archivage des cerveaux subit un bouleversement inédit en près de deux siècles d’histoire. La matière grise commença à être stockée à des fins prospectives et non plus immédiates.

L’American Brain Banking Network recense 73 institutions à travers le monde dont la plupart n’étudient qu’une seule pathologie à la fois. La « molécularisation » de la médecine apporta une innovation de taille : la congélation qui préserve les caractéristiques biochimiques des tissus, ce qui n’était pas le cas avec le formol. Dans les années 1890, le chimiste James Dewar entreprit des études pionnières sur cette technique de très basses températures produites par l’évaporation de gaz liquides, émise par des éprouvettes à vide artificiel.

En 1959, lors de la première réunion de la WFN, Fédération Mondiale de Neurologie, l’archivage par cryogénisation des spécimens cérébraux fut institué comme règle internationale ; en 1961, la première Banque Nationale Neurologique fut créée à l’Université du Michigan d’où elle déménagea en 1971 pour le Hôpital des Anciens Combattants à l’Ouest de Los Angeles, lequel allait devenir un modèle du genre, où seraient recueillis les archives de « tous les donneurs atteints de pathologies diverses, neurologiques, psychiatriques, de maladies chroniques, ou qu’il s’agisse de simples patients de différents âges. » — Encyclopédie des Neurosciences.

Le but de telles institutions est de réduire le temps entre la mort du donneur et la cryogénisation de son cerveau. Si le donneur décède dans un périmètre de cinquante miles aux alentours de la Banque.

« Tout est fait pour assurer la conservation des tissus et la personne décédée est immédiatement transportée vers la morgue la plus proche où l’autopsie est réalisée, le cerveau prélevé, stocké dans la glace et amené à nos laboratoire pour parachever son traitement. Un service de garde assure le fonctionnement du service 24 heures sur 24. Tous les donneurs subissent un examen psychologique, avec un profilage approfondi dans le cas de troubles mentaux, d’un passé d’alcoolisme, d’abus de drogues, de syphilis, d’infection au VIH, chorée de Huntington, etc. »

Les cerveaux fraîchement prélevés subissent également un examen visant à y déceler des anomalies. Le cerebrellum ou zone postérieure et inférieure, et le Pont de Varole sont prélevés intacts, puis le cerebrum est incisé frontalement en sections de 6 mm de large, au moyen de 26 lames différentes, afin d’éviter toute contamination des coupes contiguës dont chaque face est photographiée ; la congélation du tronc cérébral fait disparaître les contrastes entre la matière blanche et la matière grise.

Les prélèvements sont ensuite déposés dans des réceptacles étanches et pré-congelés sur des plaques d’aluminium refroidies par nitrogène liquide, pour éviter la formation de cristaux. Trente-cinq congélateurs à ultra-basses températures font l’objet d’une surveillance quotidienne et sont équipés de groupes électrogènes pour éviter toute dispersion ou perte de température en cas de panne de secteur.

Outre cette haute technologie novatrice, les banques de cerveaux bénéficient, depuis les années 60/70, d’autres méthodes de collecte, plus sophistiquées que celles de leurs prédécesseurs. Ainsi, plutôt que de recourir aux dépouilles des indigents, les banques de cerveaux entreprennent des campagnes d’informations auprès des patients et de leurs familles pour y recruter des donneurs.

Ainsi, la Banque Neurologique Nationale Américaine a-t-elle développé un programme « Gift of Hope », don d’espoir : des représentants de la Banque de Cerveaux organisent des réunions d’information pour « corriger les préjugés et fournir une information adéquate, par le cœur et par la raison, pour soutenir les familles éplorées et les rassurer sur le traitement réservé à la dépouille de leurs défunts. »

Les archives cérébrales du vingt-et-unième siècle adoptent la structure d’une banque de données et non d’un musée : les spécimens y sont physiquement gelés et traduits numériquement dans des réseaux informatiques, une transformation qui implique une interaction systémiques et non plus la passivité d’artefacts en vitrine. Ainsi va toute chair… la peau, le sang, les organes vitaux, le sperme font également l’objet d’une mise en données et ce déplacement de la fixation chimique à la cryogénisation est plutôt une bonne nouvelle.

Selon les termes de Paul Rabinow (1996), « la fragmentation du corps humain par les biosciences nous aide à constituer une réserve discrète de produits et d’effets de savoirs biochimiques et moléculaires. » En effet, on ne peut que se réjouir des campagnes de sensibilisation de ces thématiques auprès du grand public : le don de cerveaux peut aussi sauver des vies.

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