Ill. : « Ça n’a pas de sens, mais ça marche. » Texte : L’Échange impossible par Jean Baudrillard, éditions Galilée, Ènocint catwaze.
La sphère de l’information est comme un espace où, après avoir vidé les événements de leur substance, on recrée une pesanteur artificielle et on les remet sur orbite dans le temps réel ; où, après les avoir dévitalisés historiquement, on re-projette sur la scène transpolitique de l’information. Si on considère l’histoire comme un film, ce qu’elle est devenue malgré nous, alors, la« vérité » de l’information consiste dans la post-synchronisation et le sous-titrage du film de l’histoire…
Il y a en nous un immense désir d’événement. Et une immense déception, car les contenus de l’information sont désespérément inférieurs à la puissance des moyens de diffusion. Cette disproportion crée une exigence virtuelle prête à fondre sur n’importe quel incident, à cristalliser sur n’importe quelle catastrophe, pourvu qu’elle soit à la mesure de cette puissance virtuelle dont nous ne savons que faire ; une telle désillusion n’existait pas dans un univers restreint, si on peut dire, à ses frontières naturelles.
Et la contagion pathétique, immédiate et universelle, qui s’empare des foules en telle ou telle occasion (Diana, le Pape, le Mondial) n’a pas d’autre cause. Ce n’est pas une affaire de voyeurisme ou de défoulement. Bien sûr, les gens ne savent quoi faire de leur tristesse, de leur enthousiasme. Bien sûr, ils ne savent quoi faire de ce qu’ils sont. Mais il s’agit là surtout d’une abréaction spontanée à une situation immorale : l’excès d’information crée une situation immorale en ce qu’il n’a aucun équivalent, ni dans l’événement réel, ni dans notre histoire personnelle…
Automatiquement, on a envie d’un événement de conséquence maximale, d’un événement « fatal » qui répare cette inéquivalence scandaleuse par une soudaine et exceptionnelle responsabilité, allant même jusqu’à une mort parfaitement imméritée et sacrificielle. Il n’y a rien dans cette exigence d’une pulsion de mort ou d’un rituel sadique, rien d’une perversion de la nature humaine. Le rationnel ni l’irrationnel n’ont rien à voir là-dedans. Il s’agit d’un rééquilibrage historique de la balance du destin.
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