Reprise

Ill. : Arbre du Paradis par Ernst Fuchs. Texte : L’Esprit et la Lettre, sur l’interprétation des Écritures, par Giorgio Agamben, Bibliothèques rivages

Si Adam n’a pas vécu le don de la grâce qui, pourtant, lui avait été accordé à l’origine, c’est précisément ce défaut en lui qui annonce la grâce à venir : ce n’est pas ce qu’Adam a vécu, mais ce qu’il n’a pas vécu qui le constitue comme figure et symbole.

Si cela est vrai, accomplir la figure du passé consistera alors à saisir dans le passé ce qui n’a pas été vécu, lui restituer ses possibilités. Il ne s’agit pas ici seulement de possibilités génériques et abstraites, les métiers que nous aurions pu exercer, les personnes que nous aurions pu rencontrer, mais aussi et surtout, ce qui est resté non vécu au moment même où nous le vivions.

Si le présent est par définition fugace et non saisissable, dans toute expérience vécue demeure un reste, quelque chose d’inaccompli ou de non vécu jusqu’au bout, dans la mesure om cela semble irréparablement non advenu. C’est à ce non-vécu que se réfère un fragment de la section du Livre des Passages de Benjamin où il livre une réflexion essentielle pour sa théorie de la connaissance.

Corrigeant un passage d’une lettre de Horkheimer qui affirmait que, du passé, ce qui est véritablement accompli et irréparable est l’injustice, l’horreur, les souffrances, et que, par conséquent, dans l’existence d’un individu, « ce n’est pas le bonheur mais le malheur qui est scellé par la mort », Benjamin suggère, au contraire, que puisque l’histoire n’est pas seulement une science, mais tout au tant une forme du souvenir, « Le passé est marqué d’un indice secret, qui le renvoie à la rédemption. Le souvenir peut faire de l’inaccompli, le bonheur, un accompli et de l’accompli, le malheur, un inaccompli. »

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