Antinomiste Superstar

 

Source : Le Messianisme juif, essais sur la spiritualité du judaïsme, par Gershom Scholem, éditions Les Belles lettres, collection Le Goût des idées par Jean-Claude Zylberstein, relecture 2017-2025.

Les ouvrages de Nathan de Gaza nous livrent une conception du messie. Selon Nathan de Gaza, l’âme du Messie attachée indissolublement à l’Arbre de Vie depuis l’origine et dès le commencement du monde, n’a jamais été soumise à la Loi de l’Arbre de la Connaissance. Le Messie se tient au-delà du bien et du mal, au-delà des commandements et des interdictions, et il n’a jamais quitté la condition paradisiaque. C’est seulement à nos yeux que ses actes peuvent paraître répréhensibles, illicites et scandaleux, mais en réalité ils sont conformes à la loi de son origine. Le Messie doit être jugé selon d’autres critères que ceux qui sont présentement les nôtres.

Ceci ne veut pas dire que le Messie ignore, quant à lui, le passage par le monde de la tradition qui est imposé à toutes les âmes saintes et à toutes les étincelles de sainteté de l’âme. Au cours de l’histoire prénatale de son âme, sur laquelle Nathan de Gaza sait une quantité de choses étonnantes, comme ensuite au long de sa carrière terrestre, le Messie représente la contestation, celui qui, dans son principe, n’est lié à aucune tradition, le « serpent sacré » qui, depuis le commencement, lutte contre son rival.

Les thèmes multiples du Zohar sont ici entremêlés par les sabbataïstes et viennent former toute une imagerie à laquelle leur antinomisme donne sa cohérence. En abrogeant la Torah, les sabbataïstes ne cherchaient aucunement à susciter la désobéissance ou l’apostasie, mais regardaient vers une condition nouvelle du monde.

Quand Adam fut chassé du Paradis, il fut placé sous la loi de l’Arbre de la Connaissance ; il dut alors s’habiller et se couvrir pour le temps de son exil dans le monde parce que, dans sa condition nouvelle, il ne pouvait plus révéler l’essence de sa nudité. Or, ceci est également dit de la Shekhina qui se manifeste dans la Torah et qui accompagne Israël sur le chemin de son exil. Elle aussi a besoin présentement de vêtements pour couvrir sa véritable essence. La Shekhina porte dans son exil de sombres vêtements de deuil.

La pure spiritualité de la Torah a besoin du revêtement physique des commandements et des interdictions. Si la Torah était dévoilée, elle serait la Torah de l’Arbre de Vie, mais la Torah de l’Arbre de la Connaissance est une Torah voilée et son vêtement est la tradition. Son vêtement est le judaïsme des commandements et la Halakha, le judaïsme tel que nous le connaissons dans l’histoire.

Quand viendront les temps messianiques, il n’y aura plus besoin de ces vêtements car la rédemption et la restauration de la condition du Paradis dans lequel Adam et Ève étaient nus et vivaient de la vie originelle. Pendant, le temps de l’exil, on ne peut reconnaître la Torah intérieure ou, du moins, elle ne peut être reconnue que par de grands initiés. Mais quand viendra le temps de la Rédemption, cette Torah se manifestera visiblement aux yeux de tous.

Abraham Cardoso écrit : « Une fois que le monde se sera débarrassé de ses oripeaux [après la restauration de toutes choses] il n’aura plus besoin de se soucier de garder ses vêtements en bon état. » Garder ses vêtements en bon état, cela revient à accomplir les principes positifs et négatifs. Au lieu de cela, il nous est dit que « la Torah sera une fontaine de jouvence. »

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