Trouble obsessionnel herméneutique

 

Ill. : Die Versündigung par Heinrich Lossow. Source : L’Entretien infini par Maurice Blanchot, éditions Gallimard, relecture 2008-2025.

« Nous autres, philosophes de l’au-delà… qui sommes en réalité des interprètes et des augures malicieux, nous à qui il a été donné d’être placés, en spectateurs des choses européennes, devant un texte mystérieux et non encore déchiffré »

On peut comprendre que le monde est un texte dont il s’agit seulement de conduire à bien l’exégèse, afin que s’en révèle le sens juste : travail d’une probité philologique. Mais écrit par qui ? Et interprété par rapport à quelle signification préalable ? Le monde n’a pas de sens, le sens est intérieur au monde ; le monde est le dehors du sens et du non-sens. Ici, puisqu’il s’agit d’un événement intérieur à l’histoire, « les choses européennes », nous acceptons qu’il détienne comme une vérité.

Mais s’il s’agit du monde ? Et s’il s’agit de l’interprétation — le mouvement neutre d’interpréter qui n’a ni objet ni sujet, l’infini d’un mouvement qui ne se rapporte à rien qu’à soi-même (et c’est encore trop dire, car c’est un mouvement sans identité) qui, en tout cas, n’a rien qui le précède à quoi se rapporter et nul terme capable de le déterminer ? L’interpréter, être sans être, passion et devenir de la différence ?

Le texte, alors, mérite bien d’être appelé mystérieux : non pas qu’il recèlerait un mystère comme son sens, mais parce que, s’il est un nouveau nom pour le monde, ce monde énigme, solution de toutes les énigmes, s’il est la différence qui est en jeu dans le mouvement d’interpréter et comme ce qui, en celui-ci, le porte toujours à différer, à répéter en différant, si enfin, dans l’infini de son éparpillement, dans le jeu de sa fragmentation, et, pour mieux dire, dans le débord de ce qui le soustrait, il affirme ce plus de l’affirmation qui ne se tient pas sous l’exigence d’une clarté, ni ne se donne dans la forme d’une forme, ainsi texte qui n’est certes pas déjà écrit, pas plus que le monde n’est une fois pour toutes produit, mais ne se séparant pas du mouvement d’écrire dans sa neutralité, il nous donne l’écriture, ou plutôt, par lui, l’écriture ne se donne comme ce qui, détournant la pensée de tout visible et de tout invisible, peut la libérer du primat de la signification entendue comme lumière ou retrait de lumière, et peut-être la libérer de l’exigence de l’unité, c’est-à-dire du primat de toute primauté, puisque l’écriture est différence, puisque la différence écrit.

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