Je comprenais mieux ainsi pourquoi
c’était cela, écrire : je le comprenais, je veux dire que ce mot devenait
tout autre, beaucoup plus exigeant encore que je ne l’avais cru. Assurément, ce
n’était pas à mon pouvoir qu’il était fait appel, ni davantage à moi-même, mais
à ce moment où je ne pourrais rien, et ainsi, il me semblait qu’écrire
devait consister à me rapprocher de ce moment, ne me donnerait pas pouvoir sur
lui, mais, par un acte que j’ignorais, me ferait don de ce moment auprès
duquel, depuis un temps infini, je séjournerai sans l’atteindre ; loin
d’ici et cependant ici. J’apercevais bien à quel risque j’allais
m’exposer : au lieu de faire repasser aux paroles la frontière qu’elles
avaient franchie, celui de les troubler au contraire toujours davantage, de les
tourmenter en les rendant folles d’un désir vide et sans frein, au point que, à
un certain moment, passant à travers moi dans leur poursuite effrénée, elles me
traîneraient à nouveau vers un espace dangereusement ouvert sur l’illusion d’un
monde auquel nous n’aurions cependant pas accès, car la pensée que cet accès
nous serait accordé, si l’assaut était conduit avec suffisamment de véhémence
et d’adresse, ne venait pas encore me tenter, cette tentation faisait seulement
partie du risque, le risque était le pivot autour duquel ce qui était une
menace tournait aussitôt en espoir et moi-même, je tournais autour de moi-même,
livré à tous les appels de ce lieu où je ne pouvais qu’errer.

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