Prescription

 

Les joueurs sont requis par la poursuite d’une partie qui pour eux n’est qu’une fin de partie, mais dont la relance les joue eux-mêmes d’une manière imprévisible, en faisant d’eux les répondants momentanés de cette pensée de l’inconnu. Comprenons alors pourquoi il peut se faire que parler ne le cède pas à écrire. La parole porte avec elle le caractère fortuit qui lie dans le jeu la pensée au hasard. Elle dépend immédiatement de la vie, des humeurs, et des fatigues de la vie, et elle les accueille comme sa secrète vérité : un joueur fatigué peut être plus proche de l’attention du jeu que le joueur brillant, maître de soi et maître de l’attention. Surtout, elle est périssable. À peine dite, elle s’efface et se perd sans recours. Elle s’oublie. L’oubli parle dans l’intimité de cette parole, non pas seulement l’oubli partiel et limité, mais l’oubli profond sur lequel s’élève toute mémoire. Qui parle est déjà oublié. Qui parle s’en remet à l’oubli, presque avec préméditation, je veux dire en liant le mouvement de la réflexion à cette nécessité de l’oubli. L’oubli est le maître du jeu.

Maurice Blanchot : L’Entretien infini

Commentaires