Jean 1.5

 

Ill. : L’Appel mystérieux par Nikolaï Kalmakoff. Texte : Celui qui ne m’accompagnait pas par Maurice Blanchot, éditions Gallimard, collection L’Imaginaire.

Belles heures, paroles profondes auxquelles je voudrais appartenir, mais qui, elles aussi voudraient m’appartenir, paroles vides et sans lien. Je ne puis les interroger et elles ne peuvent me répondre. Elles demeurent seulement auprès de moi, comme je demeure auprès d’elles. C’est là notre dialogue. Elles se tiennent immobiles, elles sont comme dressées dans cette chambre ; la nuit, elles sont la dissimulation de la nuit ; le jour, elles sont la transparence du jour. Partout où je vais, elles sont là.

Que veulent-elles ? Nous ne sommes pas familiers, nous ne nous connaissons pas. Paroles de la profondeur vide, qui vous a appelées ? Pourquoi m’êtes-vous devenues manifestes ? Pourquoi suis-je occupé de vous ? Je ne dois pas m’occuper de vous, vous ne devez pas vous occuper de moi, je dois aller plus loin, je ne vous unirai pas à l’espoir ni à la vie d’un souffle.

Qu’elles pressent sur moi, je ne le sais pas, mais je le sens. J’en vois un signe dans cette immobilité qui, même quand elles semblent errer, même quand je les quitte, les tient serrées autour de moi, dans un cercle dont, malgré moi, je suis le centre. Et ce cercle est tantôt plus grand, tantôt plus petit, mais pour moi la distance ne change pas, et jamais le cercle ne s’interrompt, jamais l’attente ne se brise, je pourrais me dire prisonnier de cette attente si celle-ci était plus réelle, mais comme elle demeure silencieuse et incertaine, je suis seulement prisonnier de l’incertitude, de l’attente.

Suis-je leur but ? Ce qu’elles cherchent ? Je ne le croirai pas. Mais parfois, elles me fixent avec une puissance si retenue, un silence si réservé que ce silence me désigne à moi-même ; il me faut alors demeurer ferme, il me faut lutter contre mon refus de croire, et plus je lutte, en général avec succès, c’est à elles seulement que je le dois, à leur voisinage, à la fermeté de leur inattention.

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