« Je ne ferai jamais assez le vide autour de moi »

Source : L’Entretien infini par Maurice Blanchot, éditions Gallimard, relecture 2008-2025.

Se pourrait-il que la poésie, nous engageant tout entiers dans la quête de l’unité, dans un rapport aussi absolu que possible avec la présence même de l’être, ne fasse que nous séparer des autres êtres. Ainsi, ayant voulu retrouver la réalité dans sa profondeur et sa substance, le poète la perd d’autant plus en tant qu’harmonie et communion. Cette contrariété fondamentale, Rimbaud l’a éprouvée diversement et à des niveaux différents, selon les mouvements propres de sa vie, et de sa recherche. C’est la contradiction en lui d’une force et d’un manque.

La force, c’est son énergie immaîtrisable, le pouvoir d’invention, l’affirmation de tous les possibles, l’infatigable espérance, l’ivresse, la Vision en son Bonheur. Le manque, c’est par suite du « cœur violé », la dépossession infinie, le dénuement, l’ennui, la séparation, le malheur, le sommeil. Mais, à nouveau, et, à partir de ce défaut essentiel, la poésie, en Rimbaud, se voit confier le devoir de transformer le manque en ressource, l’impossibilité de parler qu’est le malheur en un nouvel avenir de la parole, et la privation d’amour en l’exigence de « l’amour à réinventer. » Comme si, pour reprendre une expression d’Yves Bonnefoy, la dégradation de l’être en choses inertes et produites (objets, société classifiée, religion moralisée) devait être portée et assumée par le poète, mise en rapport par lui avec ce qu’il y a de toujours futur dans la présence poétique.

Mais la contradiction demeure : contradiction entre la recherche personnelle d’un salut et l’expérience impersonnelle ; contradiction entre le besoin de communication qui doit s’affirmer à partir du malheur et par « l’ardente patience » de l’homme souffrant, et le besoin de communication qui s’affirme à partir du feu et par la saisie savante, extatique et glorieuse de l’homme conquérant. Mais ici, je crois qu’il faut évoquer Hölderlin pour qui, comme pour Rimbaud, le mot feu et le mot lumière ont représenté à la fois le Bonheur et l’obscure infortune. Ce qui dit Hölderlin de « l’immédiat » qui est « l’impossible », devrait nous aider à entrer dans l’obscurité de ce qui jour qui est pourtant le jour commun, commun à tous, et à tout instant : c’est que du feu vient toute communication, mais le feu est l’incommunicable.

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