Ill. : Santiago Caruso. Source : La Face obscure du Christ par Vassily Rozanov, traduit du russe par Nathalie Keznikoff, préface de Joseph Czapski, édition vintage 1964
Par une suite d’images démesurées, une
suite d’images telle que le livre de Job même paraît en comparaison faible et
rachitique, une suite telle que la Genèse, la Création du monde et de l’homme,
paraît exsangue et terne, l’Apocalypse nous révèle, précisément par sa
structure, son essence. On dirait qu’elle rugit « à la fin des siècles »
pour « la fin des siècles », pour « l’accomplissement du dernier
terme de l’humanité » : la stérilité. La fin du monde et de
l’humanité sera ainsi parce que l’Évangile est le livre de l’épuisement, de la
stérilité. Car il y a pouvoir et non pouvoir et le Christ meurt par non-pouvoir
bien que par la vérité pleine et absolue. Le christianisme n’est pas dans la
vérité, il est dans la stérilité.
L’image du Christ,
dépeinte dans l’Évangile, avec les miracles, les merveilles, les prodiges et le
reste, ne révèle rien d’autre que cela : stérilité. L’Apocalypse semble
dire : oui, le Christ pouvait décrire la beauté des « lis des
champs » et appeler près de lui « Marie, la sœur de Lazare »
pour qu’elle l’écoute, mais le Christ n’a pas planté un seul arbre, n’a pas
engendré le moindre brin d’herbe, il est privé de « graines de la
vie », de noyaux, d’œufs, il n’est pas animal, il n’est pas vivant, ce
n’est pas un corps, mais un fantôme, une ombre qui par miracle a passé sur la
terre. Ombre, ténèbres, désert, solitude, non-être, telle est Sa substance.
Comme s’il n’était qu’un Nom, un récit. Si les derniers temps de l’Apocalypse paraissent si effroyables, faméliques, si les hommes se transforment en « scorpions qui se piquent eux-mêmes et les uns les autres », cela viendra du fait qu’au fond « il n’y avait rien » et de ce que les hommes au ventre vide et flasque, dont on peut compter les côtes, sont eux-mêmes devenus mystérieusement des « ombres d’hommes » et dans une certaine mesure des hommes « de nom » seulement.

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