Je devais demeurer là, m’y tenir,
c’était ma tâche, le commencement d’une décision que je devais soutenir en
restant toujours debout, en la trahissant le moins possible, sans jamais être
déchargé de moi, mais toujours en face d’une exigence qui me donnait le
sentiment d’avoir disparu aussi moi-même, et, loin de m’en croire plus libre,
d’être lié par cette disparition, lié toujours plus intimement à elle, d’être
appelé, voué à la soutenir, à la rendre plus réelle, plus vraie, et, en même
temps, à la pousser plus loin, toujours plus loin, là où la vérité n’atteint
plus, où la possibilité cesse. Je voyais le côté terrible, trompeur, d’une telle
pensée, je luttais contre elle qui ne résistait pas, dont la légèreté me
laissait libre, devenait la transparence que je ne pouvais déchirer sans porter
atteinte à un instant libre. À certains moments, il me semblait que tout ce qui
me restait encore d’un sol ferme, c’était cette transparence et si j’avançais,
c’est en m’appuyant sur elle, sur ma propre image ainsi reflétée, tandis qu’à
l’infini ce reflet se perpétuait, indifférent aux ruines du temps. Reflet qui
m’avait sans doute attiré par sa fragilité, l’assurance qu’en prenant appui sur
lui, je ne manquerais pas de tomber rapidement, mais la chute était infinie, à
chaque moment de la chute, le reflet se reformait sous mes pas, indestructible.
Il m’arrivait aussi, et précisément en ce moment, de sentir que cette tâche,
mot que j’aurais voulu choisir plus insignifiant encore, plus vide, et par là,
plus approprié à sa puissance impérieuse, cette exigence était le lieu qui
m’unissait à moi-même.
Maurice Blanchot : Celui qui ne m’accompagnait pas

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