« Un couteau sans manche auquel il manquerait la lame »

 

J’étais sans appui contre un tel infini, sans force contre le vide que la question ouvrait et fermait sans relâche, de sorte que je ne pouvais même pas y tomber. Cela me soulevait plutôt, me soulevait d’épuisement, et je pense que, quand je me vis debout, ce mouvement, ce besoin désespéré d’épuiser l’espace, fit que je lui jetai, en réponse, avec une soudaineté où se ramassa la résolution que je pris à l’instant : « Je continuerai d’aller ce côté, jamais d’un autre. » De ce côté désignait sans doute là où les instants me ramenaient à un tel point d’incertitude et de stérilité, qu’ils s’effaçaient d’eux-mêmes. Moments infinis que je ne pouvais maîtriser, et le plus terrible, c’est que, comme une pression constante, je sentais le devoir de me rendre maître d’eux, de les orienter, de leur transmettre cette pression qui cherchait à les faire glisser vers une fin à laquelle ils ne pouvaient consentir. Cette pression, cette narration impérieuse, je ne pouvais tout à fait lui résister, elle était en moi comme un ordre, un ordre que je me donnais à moi-même, qui m’ébranlait, m’entraînait, m’obligeait à errer. Je ne pouvais alors écarter la pensée que cette recherche n’était pas seulement la mienne, mon erreur, mais qu’elle était aussi présente autour de moi, dans l’intimité de l’espace, dans le secret de cette parole qui appelait le vide et ne le trouvait pas, ou bien qui désirait se ressaisir et ne le pouvait pas.

Ill. : Arbre de Lichtenberg
Maurice Blanchot : Celui qui ne m’accompagnait pas

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