Source : La Gnose antique, de l’archéologie du christianisme à l’institution du judaïsme, par André Paul, éditions du Cerf
La permanence dans les représentations savantes de
l’Antiquité jusqu’aux Lumières d’un modèle « humain »
irrésistiblement unisexe, est une réalité historique. Bien des études abordent
le sujet de différents points de vue, anatomique ou médical, et même
philosophique. Ce que l’on peut appeler la « politique du sexe » a
été très longtemps régi par une « biologie de la hiérarchie »
caractérisée par la doctrine d’un sexe unique : autrement dit par l’idée
que, pour ce qui est des attributs du sexe, physiques et autres, il n’y a pas
de différence ni identifiable ni pertinente entre l’homme et la femme, tout se
ramenant aux dimensions et constituants propres de la masculinité. Totalement
oublié dès lors le mythe platonicien de l’androgyne. Bien des études ont été
publiées à ce sujet mais aucune ne mentionne l’œuvre de Philon d’Alexandrie.
Nous savons que pour Aristote les esclaves n’ont pas de
sexe ; ce qui souligne chez eux l’insignifiance du genre. En d’autres
termes, l’esclave c’est du « non-genre. » Certes, ce très réputé
philosophe ne nie pas l’existence de deux sexes différents, celui de l’homme et
celui de la femme. Mais pour lui, les caractéristiques distinctives de la
virilité sont immatérielles. Les Grecs, on le sait, considéraient la tempérance
comme une vertu essentiellement virile, qualité qu’elle conservait chez les
femmes qui la pratiquent. Le statut de dépendance de ces dernières à l’égard de
la famille et du mari, leur rôle procréateur et d’autres fonctions conjointes
leur imposaient précisément d’être tempérantes. Et pour ce faire, elles se
devaient d’instaurer en elles un rapport de supériorité et de domination de
type obligatoirement viril.
D’où l’étonnement de Socrate devant un interlocuteur
qui venait de lui louer les mérites de son épouse : « Par Héra, tu
nous montres là chez ta femme une âme vraiment virile. « La vertu était
donc censée compenser une indigence naturelle. Devenue vertueuse par le seul
fait de fonctions assumées, la femme pouvait rivaliser avec l’homme mâle, sans
que rien ne fût changé pour autant quant à la disparité naturelle des
genres ; disparité voulant dire hiérarchie.
Dans leur totalité, les faits anatomiques et biologiques que l’on considère comme naturellement constitutifs de la différence sexuelle, n’étaient pour Aristote qu’un faisceau de signaux contingents. Il n’y a donc pas de différence entre sexe masculin et sexe féminin si ce n’est dans leur mise en place et leur configuration, externes et actives d’un côté, internes et passives de l’autre. Un sexe unique, somme toute masculin, avec deux plastiques contraires, l’une en relief et l’autre en creux.
D’ailleurs, jusqu’à l’époque dite Moderne de notre histoire occidentale, les éléments anatomiques du sexe féminin, vagin, utérus et ovaires, n’auront guère de dénominations propres. Par exemple, le vagin sera représenté ou désigné comme un pénis excavé. Voilà une brève évocation d’un contexte idéologique durable. Dans le présent propos, elle contribuera à dévoiler l’arrière-fond culturel de l’argumentation préchrétienne du penseur gréco-judaïque Philon.

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