Source : Les Anges de l’Histoire, images des temps inquiets par Georges Didi-Huberman, éditions de Minuit, collection Paradoxe
Au mois de juin 1921, alors qu’il venait juste
d’acquérir l’aquarelle de Klee, Angelus Novus, à Munich, Benjamin
qualifiait déjà le personnage peint de « protecteur de la kabbale » (Kabbalabeschützer)
Cela indique que l’Angelus Novus était pensé dès le départ, à strictement
parler, comme le gardien de la tradition : entre un passé qui risquait
d’être oublié, ou nécrosé dans les conformismes de la mémoire culturelle, et un
futur qui en espérait, vitalement, la transmission. Dix ans plus tard, il était
encore nommé par Benjamin « l’unique messager de la kabbale » (einziger
Botschafter der Kabbala)
Qu’était-ce donc aux yeux de Benjamin, qu’un
« messager de la tradition ? » Certes pas quelqu’un qui eût été
capable de transmettre le tout d’une croyance ou d’un corps de doctrine, comme
essaient de le faire tant de professeurs en dogmatisme. C’est quelqu’un plutôt,
qui transmet quelque chose malgré tout : malgré le « progrès »
quand celui-ci veut faire disparaître les pans entiers d’une culture sous la
qualification méprisante de ce qui est « dépassé », obsolète ou
anachronique. C’est quelqu’un qui transmet malgré l’angoisse suscitée par la
constatation que « si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en
sûreté, et cet ennemi n’a pas fini de triompher » comme l’écrivait Walter
Benjamin en 1940.
Le geste de tradition critique ce « progrès » et contredit cette angoisse. Il trouve un chemin de traverse hors de la catastrophe que constitue la litanie des « fausses nouveautés. »

Commentaires
Enregistrer un commentaire