Source : La Gnose antique, de l’archéologie du christianisme à l’institution du judaïsme, par André Paul, éditions du Cerf, recommandé par Neûre aguèce.
Une autre raison peut être avancée du traitement
hostile des Ioudaioi par les écrits du Nouveau Testament, ce qui signifie
la transformation en « rupture » conflictuelle de l’écart ou
différence initiale entre christianismos et ioudaismos. Rappelons
que deux modèles, fort éloignés par la forme, mais aux conséquences précises
quant au fond, ont inspiré la construction du schéma initial de la philosophia
Christou. L’un émane de la culture à dominance philosophique que nous
disons gréco-judaïque, avec priorité à l’allégorie, à l’abstraction et au
concept ; l’autre appartient au type extatique et visionnaire, caractérisé
par des scènes et des récits relevant du genre du merveilleux.
Or, ce qui caractérise les deux filières, c’est leur
écart irréversible, et donc, reconnaissons-le, la rupture réelle avec la
synthèse historiographique de nature mythique et nationale que les Ioudaioi
avaient homologuée comme force structurante de leur existence et de leur
appartenance, de leurs croyances et de leurs attentes.
L’enjeu ultime de l’adoption conjuguée des deux modèles
par la philosophia Christou reposait sur la recherche des moyens de transformer
le culte d’un Dieu national, dit « nôtre », construit sur une
alliance avec son peuple, ce qui, redisons-le, correspond au schéma mythique,
Dieu et les hommes se comprenant comme partenaires, en un culte du Dieu monos,
sans forme ni lieu ni nom ; ce qui appelait une médiation adéquate entre
l’univers divin, représenté comme céleste, et le monde des humains, à tout
jamais terrestre.
Entre le système du Dieu monos, ou universel, et
celui du Dieu « nôtre » ou national, il ne s’agissait donc plus d’écart
ou de différence mais de renonciation ou d’abrogation. Aussi devons-nous
admettre que, pour l’heure, sans violence ni heurts, il y avait décision de
rupture, celle-ci habitant tacitement le christianismos dans sa phase
initiale et fondatrice de philosophia Christou.
Les choses changèrent, et les conditions furent bientôt
réunies pour que, dans les consciences, les discours et les écrits, une rupture
effective prenne le relais de l’écart et de la différence. Deux facteurs
jouèrent : le premier tient au fait que les Ioudaioi durent faire
face au désastre national que fut pour eux la destruction définitive du Temple
de Jérusalem en 70. C’était la fin du culte local, mais surtout national, ce,
ce faisant, de tout un appareil de données politiques et sociales, cultuelles
et morales. La situation rendait impossible la reconstruction du Sanctuaire
avec son ensemble d’équipements et de fonctions : entre autres, c’en était
fini des prêtres et bien sûr du Grand prêtre avec sa prestigieuse autorité.
Il s’agissait donc pour les Ioudaioi de construire autre chose. Ce sera sur la base existante du récit national, encore instable littérairement, et en attente de sa fixation, et plus encore de son achèvement. Une catégorie de personnes expertes et éclairées se mit à l’œuvre. Par étapes, ces gens appelés râbbis ou « maîtres » aboutirent à la publication de leur propre philosophia, la Mishnah, elle-même base radicalement ressourcée du culte de la Torah. S’y adjoindront ensuite le Talmud et le corps des Midrashim, constituants de l’édifice pérenne qui, portatif, celui-ci, remplacera le Temple et avec lui la Terre dite d’Israël. Très tôt, dès le tout début du deuxième siècle, les christianoi dénommeront Ioudaismos ce système encore en (re)construction.

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