Source : Celui qui ne m’accompagnait pas par Maurice Blanchot, éditions Gallimard, collection L’Imaginaire.
Je vivais dans une constante dissimulation, sans savoir
d’où elle prenait sa source. Le plus simple était de croire qu’en effet je ne
lui dissimulais pas quelque chose, c’était facile… Mais en fait, je le savais
bien, cela ne pouvait s’appeler dissimuler, et au contraire, plus je m’engageais
sans retenue dans cet espace, plus j’étouffais à l’approche de la dissimulation…
Autrefois, j’avais pu vivre dans le monde, mais peu à peu et sous la contrainte
de cette dissimulation, pour me soustraire à cet élément étouffant que je
croyais pouvoir dissiper ainsi, je m’étais retiré de tout afin de ne plus
paraître lui cacher rien, en sorte que, maintenant, je ne vivais plus ans le
monde, mais dans la dissimulation.
J’essayai, à l’abri de ce mot, de m’avancer davantage.
J’essayai de comprendre pourquoi, dans cet espace, il subsistait des nœuds et
des tensions, des régions fortes où tout s’aplanissait, un entrelacement d’attente
et d’oubli qui invitait à une agitation ininterrompue. Je ne pouvais me défaire
de l’idée que, certaines de ses paroles, si j’avais mieux lutté contre elles,
si, au lieu de les entendre, de m’y intéresser, de leur répondre, je les avais
fortement saisies en les laissant tracer, suivre leur voie propre, fût-ce la
profondeur d’un lent Maelström, j’aurais cessé d’errer ainsi à la surface, dans
un monde de vestiges et de demi-espoirs. Toutefois, ce n’était qu’une idée.
À d’autres moments, peut-être, quand je mêlais le sang-froid à la réflexion, c’est à mes propres mots que j’étais prêt à me fier. Je ne voulais pas dire qu’ils entendaient ce que je n’entendais pas, ni même qu’ils fussent d’une capacité, d’une loyauté suffisante ; au contraire, ils étaient lourds, malléables et en même immodérés, pédants, bavards, mais il leur arrivait, et justement, à l’approche de la dissimulation, de paraître refléter l’essentiel, y répondre, et ce qu’ils avaient dit était peut-être insignifiant, ne m’aidait en rien, m’entravait plutôt en me laissant croire qu’il était conversé dans le vide, mais cela seulement parce que je me tenais obstinément à distance ; la crainte, l’attachement, le manque de forces, l’oubli, voilà ce qui me maintenait en retrait, alors que les paroles, n’obéissant pas plus longtemps à ces sentiments généraux, faisaient écho à ce qui n’était sans doute qu’un écho, mais ainsi prenaient place auprès de la dissimulation, en occupaient le lieu, en tenaient lieu.

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