« J’aime les secrets, c’est rassurant »

 

Non qu’à la limite l’homme n’ait rien à cacher ; il a au contraire toujours au moins un secret qu’il protège jalousement : précisément qu’il n’a aucun secret, qu’il n’a rien à cacher. Pierre Fédida a montré qu’une des fonctions essentielles de l’exhibitionnisme est de masquer le secret d’un secret à montrer, de cacher le fait qu’on n’a rien à cacher. « Il me fallait, dit une de ses patientes, être mystérieuse pour cacher que je n’avais rien à moi. » Adolescente, cette patiente faisait semblant d’écrire des lettres d’amour à un homme, pour intriguer son entourage, mais ne jetait dans la boîte aux lettres que des enveloppes vides : « Comment saurait-on mieux dire l’analyste dont le secret de la lettre est celui de l’enveloppe vide. » On en dirait autant du silence obstiné de l’adolescent face aux questions du juge ou du psychologue : il a en effet un grand secret à garder, qu’il protège généralement efficacement en raison du fait que les questions qui pourraient le percer à jour sont sans objet et donc, sans danger. Car on lui demande quelque chose, alors qu’il a à cacher précisément qu’il n’a rien, pas d’idées, pas de désirs, pas d’objets, d’attention réelle.

Clément Rosset : Le Réel, traité de l’idiotie

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