Je voudrais dire que le froid de ces corps est une
chose très étrange : il n’est pas en lui-même, si grand. Si je touche une
main comme je le fais maintenant, si ma main se couche sous cette main,
celle-ci est moins glacée que la mienne, mais ce peu de froid est profond, non
pas le léger rayonnement d’une surface, mais pénétrant, enveloppant, il faut le
suivre, et, avec lui, entrer dans une épaisseur sans limite, dans une
profondeur vide et irréelle où il n’y a pas de retour possible à un contact
extérieur. C’est là ce qui le rend si amer, il semble qu’il ait la cruauté de
quelque chose qui vous ronge, qui vous saisit et vous attire, et en effet, il
vous saisit, mais là est aussi son secret, et celui qui a assez de sympathie
pour s’abandonner à cette froideur, retrouve en elle la complaisance, la
tendresse et la liberté d’une vraie vie. Il faut le dire, car il serait bien
vain à présent de reculer, le froid d’une main, le froid d’un corps n’est rien,
et même si les lèvres s’en approchent, cette amertume d’une bouche froide n’est
redoutable que pour qui ne sait être plus amer ni plus froid, mais il y a une
autre barrière qui nous sépare : celle de l’étoffe morte sur un corps
silencieux, de ces vêtements qu’il faut reconnaître et qui n’habillent rien,
imprégnés d’insensibilité, avec leurs plis cadavériques et leur inertie de
métal. C’est cette épreuve qu’il faut vaincre.
Maurice Blanchot : L’Arrêt de mort

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