Ill. : Andrew Jeeves. Source : Jung et la Gnose par Françoise Bonardel, éditions Dervy, recommandé par Neûre aguèce.
« Personne, dit le Pérate, ne peut être sauvé ni monter au ciel sans le Fils, qui n’est autre que le serpent. »
Si l’on en croit Hippolyte de Rome, accusant la
doctrine impie des Pérates de n’être qu’une « adaptation de
l’astrologie », l’influence des astres aurait été associée par eux à celle
d’un serpent maléfique, responsable de la génération, tandis qu’un autre
serpent, salvateur celui-là, attirerait à lui les élus : « Comme
l’ambre attire la paille, ainsi le Serpent attire hors de ce monde, à
l’exclusion de tout autre, la race parfaite, formée à l’image du père, et de
même essence que lui, qui avait été envoyée par lui ici-bas. »
Il semble donc bien que le Serpent / Dragon céleste
qu’Hippolyte dit « enroulé » dont la tête permet à l’Orient et à
l’Occident de se rencontrer, soit l’un des rares Orouboros bénéfiques présents
dans les écrits gnostiques, où il est plus généralement associé à la puissance
maléfique du déterminisme astral et cosmique qui tient les hommes sous son
joug. C’est ainsi en tout cas que Jung semble l’avoir compris.
« Il faut cependant se rappeler que la materia
maléfique, opposée au serpent du Logos, est elle aussi un serpent. Pour les
Pérates, elle est d’abord l’eau qui entoure le monde comme un anneau. Cet
anneau porte le nom de Cronos. Voici ce qu’ils en disent : « Il est
une force limpide comme l’eau, et nulle créature ne saurait échapper à cette
force représentée par Cronos. Il est la cause originelle qui fait succomber
toute créature à la chute. »
Si donc l’Orouboros ne fut en aucun cas pour ces
gnostiques vénérant le Serpent un objet de culte, ni l’acteur principal des
cérémonies décriées par les Pères chrétiens, où et quand apparaît-il sous cette
forme dans la gnose et pour symboliser quoi ? La puissance de son corps
annelé recourbé sur lui-même est en fait généralement associée à celle du
gigantesque et monstrueux reptile qui encercle le monde créé par le démiurge
qu’il prive ainsi de la lumière pléromatique. C’est lui que décrit en ces
termes Jésus dans Le Livre du Sauveur.
« Les ténèbres extérieures sont un grand dragon
dont la queue est dans la gueule, et elles sont en dehors du monde et elles entourent
le monde tout entier. Il y a en elle une foule de lieux de jugement, car il y a
en lui douze chambres de tourments durs ; en chaque chambre, il y a un
Archonte, et la face des Archontes est différente pour chacun d’eux. »
Une telle description ne laisse aucun doute sur la
complicité active de l’Orouboros gnostique avec les archontes, veillant à ce
qu’aucune âme ne s’échappe de la geôle qu’est le monde encerclé par le monstre
parfois nommé Léviathan, en référence à l’Ancien Testament. L’espace intérieur
circonscrit par le corps puissant du reptile est un lieu de tourments, une
prison cloisonnée en autant de chambres qu’il y a d’archontes, douze, dans le
Livre du Sauveur. Le passage entre l’intérieur et l’extérieur peut toutefois se
faire lorsque le monstre desserre momentanément l’étau formé par la jonction de
sa tête et de sa queue qui se ferme aussitôt.
Autant dire que le symbolisme change du tout au tout, puisque l’Orouboros gnostique cesse d’être le symbole de la vie en ce qu’elle a de paradoxal, pérennité et transformations incessantes, pour n’être plus qu’un geôlier redoutable dont la tête et la queue, étroitement ajointées, forment un piège pour quiconque tente de franchir cet obstacle. Ainsi, l’Orouboros gnostique ressemble-t-il davantage à la roue de l’existence bouddhique, tenue dans la gueule d’un monstre terrifiant et enfermant l’être humain dans le cycle sans fin du devenir, samsara, qu’à son homologue alchimique porteur d’une espérance de vie nouvelle avec qui la parenté semble dès lors formelle.

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