« Immobile au centre de la roue qui tourne »

 

Source : Les Racines de la conscience par Carl Gustav Jung, présentation par Michel Cazenave, publié sous la direction du Dr Roland Cahen, éditions Buchet/Chastel, collection Références

Le Soi est réalisé par la concentration du multiple au centre, et il veut aussi cette concentration. Il est le sujet et l’objet du processus. C’est pourquoi il « brille » pour celui qui le « voit. » Sa lumière est invisible si elle n’est pas vue. Il est comme si alors il n’existait pas. Il est aussi dépendant du fait d’être vu que la vue l’est de la lumière. En cela s’exprime à nouveau la nature paradoxale de sujet et d’objet de l’inconnaissable.

C’est pourquoi le Christ ou le Soi est un « miroir » qui d’une part reflète la conscience subjective du disciple c’est-à-dire le rend visible lui-même, mais d’autre part connaît aussi le Christ, c’est-à-dire qu’il ne se contente pas de refléter l’homme empirique mais le montre également en tant que totalité transcendantale. 

De même qu’une « porte » à laquelle « on frappe » s’ouvre ou qu’un « chemin » se révèle à celui qui cherche, ainsi un processus de prise de conscience et une évolution vers l’unité et la totalité commencent pour celui qui se réfère à son centre transcendantal. Il ne se voit pas seulement comme l’isolé mais comme l’Un. Il n’y a d’isolé que la conscience subjective. Mais si celle-ci est rapportée à son centre, elle est alors intégrée dans la totalité. Celui qui participe à la ronde se voit dans le centre qui forme miroir, et la souffrance de l’être isolé est celle que celui qui se tient au centre « veut souffrir. » On ne saurait sans doute exprimer d’une façon plus belle et plus saisissante l’identité et la distinction paradoxales du moi et du Soi.

Ainsi que le dit le texte, on ne pourrait absolument pas comprendre ce que l’on souffre si ce point d’Archimède hors de nous ne nous était pas donné, ce point de vue objectif du Soi à partir duquel le moi peut être regardé en tant que phénomène. Sans l’objectivation du Soi, le moi demeurerait embarrassé dans une subjectivité sans espoir et ne pourrait que tourner autour de lui-même. Mais celui qui a une vue intuitive de sa souffrance sans la gêne de sa subjectivité et qui comprend cette souffrance, celui-là connaît aussi « l’absence de souffrance » grâce à son point de vue modifié, car il possède un lieu, « la place du repos » au-delà de tous les enchevêtrements. 

C’est là assurément l’authentique pensée chrétienne de la victoire sur le monde dans une formulation psychologique inattendue, bien qu’elle puisse donner lieu à une interprétation docétiste : « Tu reconnaîtras qui je suis si je m’en vais d’ici. Comme je suis vu maintenant, cela je ne le suis pas. » Ces phrases sont élucidées par une vision dans laquelle le Seigneur se tient au centre d’une caverne et l’illumine. 

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