Polaire

 

Source : Aïon par Carl Gustav Jung, études sur la phénoménologie du Soi, éditions Albin Michel

Nostradamus, médecin et astrologue savant, ne pouvait ignorer que le Nord était la région du Diable, des infidèles, des méchants. Il s’appuie sur un texte de Jérémie (1.14) allégué par saint Eucher de Lyon : « C’est du Septentrion que la calamité se répandra sur tous les habitants du pays » ainsi que sur d’autres passages comme Isaïe (14.12) : « Te voilà tombé du côté du ciel, astre brillant, fils de l’aurore. Tu es abattu à terre, toi, le vainqueur des nations. Tu disais dans ton cœur : je monterai au ciel, j’élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu, je m’assiérai sur la montagne de l’assemblée, à l’extrémité du septentrion. »

Le moine bénédiction Raban Maur dit : « L’Aquilon est l’austérité et la persécution », et « la suggestion de l’antique ennemi » (Jérémie, 1.13) : le vent du nord signifie le diable, ce qui découle de Job (26.7) : « Il étend le septentrion (Vulgate : Aquilon) sur le vide, il suspend la terre sur le néant. » Augustin déclare : « Qui est cet Aquilon sinon celui qui a dit : je placerai mon siège au Septentrion et je serai semblable au Très-Haut ? Le diable avait gouverné le royaume des impies et possédé les nations. »

Garnier de Saint-Victor dit que « l’esprit malin » est appelé aquilon. Son  froid signifie « le froid des péchés » (frigiditas peccatorum) Adam Scot imagine une terrible tête de dragon au nord, de laquelle sort tout le mal. Elle émet par la bouche et les naseaux un nuage ou une fumée de nature triple, qui est la « triple ignorance, à savoir du bien et du mal, du vrai et du faux, de l’avantageux et du désavantageux. » « C’est là, dit Adam Scot, le nuage que le prophète Ezéchiel, dans sa vision de Dieu, vit venir du nord » et la fumée dont parle Isaïe (14.31) Il est tout le moins étrange que le pieux auteur ne se soit nullement avisé de la manière dont la vision divine du prophète venait sur les ailes du vent du nord dans ce nuage diabolique de la triple ignorance.

Il n’y a pas de fumée sans feu. Cela se vérifie pour le grand nuage : il est dit qu’il était accompagné « d’une gerbe de feu qui répandait de tous côtés une lumière éclatante au centre da laquelle brillait comme de l’airain. » L’aquilon vient bien de la région du feu et il est donc, malgré sa nature froide, un « vent brûlant », « ventus urens », comme l’appelle Grégoire le Grand en invoquant Job, 27.21. Ce vent est « l’esprit malin » qui « excite les flammes de la concupiscence dans les cœurs » et enflamme tout être vivant pour le vice. « Par le souffle de l’excitation mauvaise vers les désirs humains, il fait brûler les cœurs des impies », selon que Jérémie déclare : « Je vois une chaudière bouillante du côté du septentrion. »

Dans ces citations de Grégoire, on perçoit un écho de la vieille image du feu ayant son siège au nord. Elle est encore vivante chez Ezéchiel, car son nuage igné apparaît « du côté de l’Aquilon » d’où vient « tout malheur pour les habitants de la terre. »

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