Grande horizontale

 

Source : Jean Lorrain, miroir de la Belle Époque, par Thibaut d’Anthonay, éditions Fayard.

Qui est cette jeune femme somptueusement pourvue par la Nature ? Liane de Pougy, alias Marie Chassaigne, est née à La Flèche, dans la Sarthe, en 1869, issue d’une famille d’officiers de la bonne bourgeoisie de l’endroit.

Après des études dans un pensionnat de jeunes filles, où elle a appris à aimer l’amour saphique, elle se marie, à dix-sept ans, avec un officier de marine, brutal et jaloux, dont elle a un fils un an plus tard. Mais cette existence lui apparaît bien trop terne en regard de ses aspirations et elle trompe bientôt son mari qui, la surprenant un jour au lit avec son amant, et visant celui-ci « tire un coup de feu qu’Anne-Marie reçoit dans le bas du dos. » D’où son surnom de « Balle dans le c … » que mentionne Lorrain dans son premier article.

Après ce fait d’armes, elle abandonne un mari qu’elle juge aussi ennuyeux que dangereux et dont elle divorce à vingt ans. Son fils placé en nourrice, elle se trouve libre et part à la conquête de la capitale. Spirituelle autant qu’ambitieuse, elle parvient à se hisser, en cinq ans, sur les sommets de la galanterie parisienne, rivalisant bientôt avec Émilienne d’Alençon et « La Belle Otero. » De plus, elle est une femme mince dans une époque de femmes grasses, raison ajoutée à son port altier, de son succès selon ses admirateurs.

Quant à son esprit et à ses appétits, une anecdote nous éclaire sur leur nature : à son retour d’une « tournée » effectuée en Russie (où elle était en réalité partie rejoindre un richissime amant à Saint-Pétersbourg), en décembre 1894, Lorrain publie une chronique, habitude à laquelle il va s’adonner régulièrement, commentant les faits et gestes de la courtisane chaque fois que s’en présentera l’occasion, et dans laquelle il ironise sur son séjour à Pétersbourg, avant de préciser qu’elle en rapporte un écrin de diamants d’une valeur de 300.000 francs. Quelques jours après, il lui rend visite et se voit reprocher, gentiment, certains de ses propos : « mais ce qu’elle ne peut avaler ce sont les 300.000 francs de diamants que je lui ai attribués. »

« Trois cents mille francs, se récrie la blonde enfant. Mais c’est un écrin de pauvre que vous me donnez là. J’en ai pour un million et demi, mon cher. » Pareil trait dit assez combien selon leur ami commun, ils sont « faits l’un pour se comprendre. » Ainsi est-ce donc en présence de cette créature, qui ne manque pas d’atouts, que Lorrain éprouve ce « coup de foudre de l’amitié. » Dès lors, il va s’atteler au char de sa renommée, lui prodiguant des conseils en manière d’arrivisme, la pilotant à travers le demi-monde et ses embûches, la célébrant dans la presse, concourant ainsi, et dans une large mesure, à son accession au premier rang de la galanterie parisienne .

Liane, de son côté, incarne l’archétype de son idéal féminin, tant du point de vue de sa beauté que de celui de sa personnalité de femme fatale et elle va lui inspirer maintes figures de ses fictions. Illyne Yls de Fards et Poisons (1904) ; Ludine de Neurflize de La Maison Philibert (1904) ou Viviane du Poison de la Rivera (1911) pour ne citer que les plus flagrantes.

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