Texte : René Char en ses poèmes par Paul Veyne, éditions Gallimard, collection Tel
« Ce qui me
console, lorsque je serai mort, c’est que je serai là, disloqué, hideux, pour
me voir poème. » Poème au singulier. Disloqué est une pulvérisation de
poèmes au pluriel. « J’ai trouvé cette idée de pulvérisation, continua
René Char, dans ce que Nietzsche dit d’Anaxagore ; le mot même est dans le
texte. » Voici en effet ce qu’on lit dans La Philosophie à l’époque
tragique des Grecs.
« Anaxagore
imagina un mélange de toutes choses, après que les existences élémentaires ont
été comme pilées dans un mortier, et réduites en une poussière d’atomes. »
Et plus loin : « Anaxagore sentait bien qu’il est contradictoire
qu’un corps ait plusieurs qualités, et il le pulvérisa. » Autant dire que
Char a rêvé en marge de Nietzsche et lui a emprunté le mot de pulvérisation,
mais non certes le sens que le texte lui donne. Abandonnons donc Anaxagore et
tenons-nous-en aux propos de Char. « On recueille des mots et puis, on les
pulvérise. Pourquoi pas ? On pulvérise bien d’autres choses et,
après, on peut quand même en faire une alchimie. »
Pour René Char, féru de sciences occultes, l’alchimie était une science analogue à la poésie. La finitude du poème n’empêche pas l’alchimie poétique. Car finitude, il y a ; « au terme de son voyage vers le Pays, la finitude du poème est lumière, apport de l’être à la vie » ; l’emploi de ce néologisme promis à un grand avenir vient sûrement de conversation avec Heidegger et Beauffret durant l’été 1955. La pulvérisation est suivie, on s’en souvient, du « second geste de répandre », d’écrire, qui pour Char semble aller de soi.
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