Le refus de
prendre part à la vie politique d’une manière active signifie toujours une
certaine prise de position politique, surtout pour un Grec. Mais Héraclite
s’est-il pour autant cantonné dans une attitude politique purement
négative ? Nous savons qu’il incita ses concitoyens à la défense de la
cité, mais nous apprenons aussi que lorsque ces mêmes concitoyens l’eurent jugé
digne d’être leur législateur, il se récusa plein de mépris parce que la cité
était déjà sous la domination d’un gouvernement corrompu. De plus, il se retira
dans l’enceinte du temple d’Artémis et jouait aux osselets avec les enfants.
Comme les Ephésiens étaient rassemblés autour de lui, toujours curieux, il leur
dit : « Pourquoi, misérables, vous étonnez-vous ? Ne vaut-il pas
mieux faire cela que de gouverner avec vous ? » Héraclite aurait
peut-être voulu faire de la politique ; il existe chez lui un « ressentiment » politique et un
dépit social qui ne se laissent nullement dissimuler sous les formules
polémiques. Mais comment faire de la politique, puisqu’il était selon toute
vraisemblance à la fois « anti-perse », « anti-démocrate »
et adversaire des aristocrates ? Et comment donner des lois aux gens de
son pays, en supposant qu’il eût voulu le faire, puisque sa pensée politique et
sa saisie de la loi universelle restent hautement spéculatives et n’arrivent
pas à se concrétiser.
Kostas Axelos : Héraclite et la philosophie
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