Quand on se
trouve à 2000 mètres, on ne s’aperçoit pas quand le sol approche. En revanche,
quand on arrive aux environs de 800 à 600 mètres, on commence à le voir venir.
La sensation devient assez rapidement effrayante, car le sol fonce vers soi. Le
diamètre apparent des objets croît de plus en plus vite et l’on a soudain la
sensation de les voir non plus se rapprocher, mais s’écarter brusquement, comme
si le sol se fendait.
Ce témoignage
est précieux car il illustre de manière véritablement gravifique, le vertige de
la perspective, sa pesanteur apparente. Avec ce « chuteur à vue », la
géométrie perspective apparaît pour ce qu’elle n’a jamais cessé d’être :
une précipitation de la perception où la rapidité même de la chute libre donne
à voir le caractère fractal de la vision résultant de l’accommodation oculaire à
grande vitesse.
Dans cette
expérience, à partir d’une certaine distance, d’un certain moment, le sol ne se
rapproche plus, il s’écarte, il se fend, passant brusquement d’une dimension
« entière », sans fuyantes, à une dimension
« fractionnaire » où s’entrouvre le spectacle visible.
Paul Virilio : La Vitesse de libération
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