« Nul n’aime les missionnaires armés »

 

Source : Au commencement était la guerre par Alain Bauer, éditions Fayard, collection Choses vues

Au début des années 1990 s’affirment les nouveaux éléments de langage liés à la « guerre juste » et une rhétorique manichéenne du bien et du mal dont le deuxième président Bush sera au début du siècle suivant le principal promoteur. Ce vocabulaire légitime l’apparition d’un nouveau type de guerre moralement justifiée, puisque son but n’est autre que le triomphe de la démocratie, de la justice, et des droits de l’homme, qui ne sont plus contestés par aucun modèle alternatif et que, cerise sur la gâteau, ces moyens seront « propres », grâce à l’aide de la technologie, du ciblage chirurgical.

Il est particulièrement significatif de noter que le plus fervent partisan de ces guerres d’un nouveau type, à la frontière de l’imposition de la force (adossée juridiquement au chapitre VII de la Charte de San Francisco) et de l’opération du maintien de la paix, se trouve être celui qui, en 1977, avait déterré le vieux concept de « guerre juste », hérité du monde romano-chrétien, Michael Walzer : « À l’époque des guerres justes et injustes, je posais de très lourds obstacles. Une intervention humanitaire pouvait être justifiée mais je restais assez sceptique. Après ce qui s’est passé en Bosnie, au Kosovo, au Rwanda, au Timor oriental, je suis davantage prêt à justifier l’usage de la force face aux meurtres de masse », écrit-il en 2005 dans Sciences humaines.

Mais, précisément parce que dans les pays cités ci-dessus les opérations menées par l’ONU ou les Occidentaux (en 1994 au Rwanda ou Restore Hope en Somalie en 1993) n’ont pas porté les fruits escomptés (« Nul n’aime les missionnaires armés », avertissait Robespierre), les années 1990 ont vu s’amplifier et se structurer une défiance des pays en développement vis-à-vis de ce « droit d’ingérence.

Cette notion est née quand la communauté internationale en construction a réfléchi aux raisons de son impuissance lors de la guerre du Biafra à la fin des années 60. Forgée par le philosophe Jean-François Revel, elle est popularisée, dans les années 1980, par Bernard Kouchner et le juriste Mario Bettati. Il s’agit alors de défendre un droit d’intervention envers les populations civiles, victimes ou menacées de crime de guerre et contre l’humanité.

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