Source : Au commencement était la guerre par Alain Bauer, éditions Fayard, collection Choses vues
Selon le docteur
en neurosciences Michel Desmurget, les réseaux sociaux s’appuient sur les
failles internes les plus primitives du cerveau : « En 2009, lorsque
la Chine a rejoint le programme PISA, qui évalue les compétences des enfants,
ça a été un électrochoc pour l’Occident. Obama lui-même a parlé d’effet
Sputnik, ce qui renvoie au traumatisme des Américains lorsque les Russes ont
lancé leur premier satellite. Leurs enfants ont des performances bien
supérieures aux nôtres et ça pourrait bien être déterminant pour l’avenir de
nos sociétés. Les réseaux sociaux, à l’heure où la Chine contrôle sévèrement
leur utilisation, sont en grande partie responsables.
Le gouvernement
chinois limite à quarante minutes par jour le temps d’usage de TikTok, et a
drastiquement réduit le temps quotidien de jeux vidéo, alors que nos enfants
passent de sept à huit heures par jour devant les écrans. La version de TikTok
que l’on a en Occident n’est absolument pas limitée, ni en termes de contenu
ni en termes de temps. Les réseaux sociaux s’appuient sur les failles internes
les plus primitives de notre cerveau. Ces plateformes jouent sur ces mécanismes
et nous asservissent à travers eux. Et ces réseaux nous apprennent à être
distraits, ce sont de véritables machines à structurer la distraction dans le
cerveau. Leur algorithme est basé sur les mêmes mécanismes de rétention de
l’attention et de stimulation du système de récompense. Il faut bien comprendre
que si ces plateformes sont gratuites, alors, le produit c’est l’enfant qui passe
sa journée dessus. »
Ces phénomènes,
liés à la numérisation de nos pratiques, participent pleinement à
« l’aplatissement du monde » que diagnostique dans son dernier
ouvrage le politologue Olivier Roy, en récusant la thèse d’une « guerre
culturelle » entre gauche et droite pour privilégier celle d’une crise de
la notion même de culture, qu’il nomme « déculturation » sous
l’influence de la mondialisation, du néolibéralisme, de la libération des
mœurs.
« Traditionnellement,
que ce soit dans la culture ou dans la religion, la place de l’être humain se
situait dans une verticalité. En dessous de nous il y avait les animaux, soumis
aux humains. Et au-dessus, on retrouvait une transcendance, qui pouvait être
Dieu, la nation ou l’idéal humaniste. Mais, aujourd’hui, on assiste à la montée
de l’animalité, aussi bien à gauche qu’à droite. A gauche, cela se traduit par
le véganisme, l’antispécisme ou l’idée de faire des animaux une nouvelle
minorité souffrante. A droite, c’est la sociobiologie, avec l’idée que tout
serait inscrit dans les gènes et que nos comportements sociaux et politiques
seraient définis par la nature. Tous ces mouvements nous ramènent à une
certaine animalité.
Par ailleurs, la
transcendance, c’est-à-dire des causes supérieures pour lesquelles nous serions
prêts à nous sacrifier, disparaît en faveur d’un individualisme jouisseur.
Enfin, le développement de l’IA s’empare de tout un espace d’activités
intellectuelles qui auparavant étaient le propre de l’homme. La place de
l’humain se réduit, nous sommes dans une profonde crise de l’humanisme. »
La tiktokisation du monde serait l’un des vecteurs privilégiés de la « déculturation » mondiale identifié par Olivier Roy et qui, selon lui, réduit désormais la culture à un système de codes explicites, décontextualisés, mondialisés, qui envahissent les universités aussi bien que nos cuisines, les combats identitaires comme nos pratiques sexuelles, et jusqu’à nos émoticônes. Le tout combiné à un effet paradoxal qui voit finalement dans ce grand mouvement les dominants en souffrir autant que les dominés, alors même que la facilité avec laquelle nous acquiesçons à l’extension du domaine de la norme n’a jamais été aussi déconcertante.

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