Pérégrination à travers les âmes

 

Source : La Kabbale par Maurice-Rubein Hayoum, préface de Jacques Attali, éditions Ellipses

Il semble que le Sefer ha-Bahir, le Livre de l’Éclat, soit le premier à parler de cette étrange théorie de la transmigration des âmes, tout en s’en tenant à des corps humains, alors que des œuvres mystiques ultérieures envisageront aussi des corps d’animaux… C’est le Sefer ha-Temuna (seconde partie du treizième siècle) qui sera le premier à évoquer une possible transmigration dans des corps d’animaux.

Le passage du Bahir (paragraphe 10) s’appuie sur un verset de l’Ecclésiaste (12.7) : « Avant que la poussière ne retourne à la terre, selon ce qu’elle a été et que le souffle ne retourne à Dieu qui l’a donné. » Mais la nature allusive des autres versets a pu donner lieu à des interprétations voisines. Par exemple, toujours dans le livre de l’Ecclésiaste (1;4) où on lit ceci : « Une génération s’en va, une génération s’en vient », on a pu penser que celle qui venait recevait les âmes de celle qui était partie. Enfin, plus tardivement, certaines œuvres kabbalistiques avaient présenté des théories plus élaborées de cette doctrine allant jusqu’à se demander combien de temps pouvait durer de telles transmigrations. C’est ce que l’on a tenté de faire dire à ce verset du livre de Job (33;29) : « Voilà, Dieu fait toues ces choses deux fois, trois fois pour l’homme. »

Si on laisse de côté l’étonnante métaphore de l’habit qui ne symbolise pas l’âme humaine, mais plutôt le corps, l’intention de l’auteur ou du compilateur est transparente : Dieu, incarné ici par le roi, dispose d’un nombre limité d’âmes puisqu’il reprend celles qui ont déjà servi ici-bas, les débarrasse de leurs souillures, causées par des existences antérieures sur terre, et, une fois nettoyées, les donne à d’autres hommes qui entament donc une vie avec une âme qui a déjà effectué un ou plusieurs cycles terrestres.

Avant de voir si cette théorie de la transmigration des âmes est vraiment nouvelle en milieu juif, il convient de noter que le Bahir la présente sans introduction particulière, comme si elle faisait partie du paysage religieux ou philosophique du judaïsme contemporain. Alors qu’en réalité, il s’agit bien d’une doctrine encore inconnue dans le monde juif. Certes, on trouve dans le traité Yabamot (fol. 100a) un passage assez obscur qui pourrait s’interpréter comme une référence à la transmigration des âmes. Ce passage talmudique note que le Messie (le fils de David) ne viendra qu’après que les âmes auront transité dans le gouf (dans le corps)

De quel corps s’agit-il ? Pense-t-on à un corps universel qui serait une sorte de pendant à l’âme du monde, un corps universel ? On l’ignore, mais cette référence est bien la seule et là aussi cette doctrine ne reçoit pas de terme spécifique. Ajoutons d’emblée que même le paragraphe du Bahir n’utilise jamais le terme technique qui deviendra par la suite la désignation officielle de cette théorie, le guilgoul, ou guilgoul ha-neshamot. Ce qui signifie exactement une rotation des âmes. Par la suite, et notamment dans le sillage de la kabbale lourianique, la doctrine de la transmigration des âmes sera promue au rang de loi cosmique.

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