Pardès

 

Source : La Kabbale par Maurice-Rubein Hayoum, préface de Jacques Attali, éditions Ellipses

« Quiconque s’occupe de pénétrer quatre choses, à savoir, ce qui est en haut, ce qui est en bas, avant et après, il eût mieux valu pour lui qu’il  ne fût point né. » (Mishna 2.1, Traité talmudique Haguiga)

De telles mises en garde, pourtant sévère et absolument claires, n’ont pas été respectées, car, aux origines de la démarche kabbalistique, nous trouvons justement des spéculations sur l’œuvre du commencement (Ma’asé Béréshit) et sur l’œuvre du char (Ma’asé Merkava) Le même passage talmudique poursuit en relatant la grave mésaventure d’un jeune homme qui étudiait le livre du prophète Ézéchiel dans l’académie de son maître ; parvenu au verset qui mentionne le terme « hachmal » (Ez 1 ;4) terme désignant peut-être un scintillement, un éclat d’un blanc resplendissant, un feu en jaillit et le consuma. L’avertissement est clair. Le jeune homme s’était risqué sur les voies dangereuses de la spéculation mystique et le paya de sa vie.

Et pourtant, dans ce même traité talmudique, rabbi Jonathan fait à son disciple Rabbi Eléazar la proposition suivante : "je vais t’enseigner l’œuvre du char." "Plus tard, répondit l’autre, car je n’ai pas encore l’âge requis." Rabbi Assi, un autre grand sage, dit à rabbi Eléazar la même chose et s’attira la remarque suivante : "si je m’en était cru digne, je l’aurai directement apprise (l’interprétation de l’œuvre du char) de mon maître rabbi Jonathan."

Deux remarques s’imposent : tout d’abord, ce rabbi Jonathan avait un penchant sérieux pour la spéculation mystique et ensuite la doctrine ésotérique n’était pas très bien vue du judaïsme normatif car elle pouvait menacer les fondements de la loi religieuse. Pourtant, elle était tolérée jusqu’à une certaine limite. Même l’exégèse traditionnelle n’est pas en reste puisque le Midrash des Rabbins sur la Genèse (Béréshit Rabba § 34) prête à Moïse l’interrogation suivante : comment Dieu, qui s’apprête à ce retrait sur lui-même afin d’accomplir l’exploit de la Création, pourra-t-il tenir en une si petite surface ? Et Dieu de répondre qu’il veut concentrer sa Gloire (Metsamtsem ha-Shekhina) sur une simple coudée carrée. On voit apparaître ici la racine verbale qui donnera plus tard le substantif tsimtsoum

Plus tard, au seizième siècle, le disciple préféré d’Isaac Louria, Hayyim Vital, auquel la postérité doit la reconstitution de la doctrine de son vénéré maître, relate l’anecdote suivante : ayant un peu trop longtemps observé le ravissement mystique de Louria qui récitait le Shema Israël, il en éprouva un violent mal aux yeux. Et pourtant, cela ne le découragea pas de persévérer dans cette voie, si l’on en juge d’après ce qui va suivre.

Ayant vu son maître s’abîmer dans l’extase mystique en récitant cette même prière du Shema, Vital le supplia de lui enseigner comment réaliser au mieux l’union séphirothique de la divinité. Ce qui revenait à lui révéler le secret de la mystique de la prière, le niveau le plus élevé de l’oraison kabbalistique. Le maître commence par refuser en arquant de l’extrême jeunesse de son disciple, mais finit par lui enseigner comment engager les préliminaires de cette expérience.

Passé minuit, Vital tente l’expérience avec une telle application qu’il finit par s’évanouir. Louria qui s’y attendait lui dit après son réveil : « Ne t’avais-je pas prévenu ? Veux-tu connaître le même sort que Ben Zoma qui entrevit et fut frappé. »

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