Source : Le Triomphe de l’artiste, la révolution et les artistes, Russie : 1917-1941, par Tzvetan Todorov, édition Flammarion, collection Versilo
La première partie d’Ivan le Terrible est tourné
en 1943-1944. Staline la voit et l’approuve. On peut le comprendre : comme
Staline, l’Ivan du film motive tous ses actes par une seule idée. Assurer le
pouvoir fort de l’État unifié ; comme lui, il persécute ses rivaux
potentiels (les boyards) et préfère à ses anciens proches les nouveaux venus
qui lui doivent tout. Comme lui, il est impitoyable, et n’hésite pas à faire
couper la tête de ceux qu’il accuse de trahison. Le film reçoit le prix
Staline, c’est un triomphe public.
La seconde partie est tournée en 1944-1945, au
printemps de 1946, Eisenstein écrit à Staline pour lui demander son
approbation. Hélas, Staline n’aime pas le deuxième film et il fait part de ses
réserves à une réunion de la direction du parti. Le reproche qu’il lui adresse
est double : Eisenstein n’a pas représenté les opritchniki dans une
lumière suffisamment positive et Ivan lui-même montre des faiblesses
inadmissibles. « Ivan le Terrible était un homme de volonté, de caractère,
alors que chez Eisenstein, c’est une sorte de Hamlet, manquant de
volonté. »
Le réalisateur a sacrifié l’exigence de vérité à ses
velléités formalistes. Staline a donc bien perçu les tentatives d’Eisenstein
pour nuancer le portrait du tsar et des exécutants de ses basses œuvres, pour
laisser la place à quelques réserves et doutes, et il voudrait qu’ils
disparaissent. Résultat : la projection du film n’est pas autorisée.
« Ivan le Terrible a été très cruel. Il faut montrer pourquoi il est nécessaire d’être cruel. Une de ses erreurs a de ne pas avoir égorgé jusqu’au dernier les membres des grandes familles féodales. Il aurait fallu qu’il soit plus décidé. »

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