Source : Un Tombeau pour Boris Davidovitch par Danilo Kiš, éditions Gallimard, collection L’Imaginaire, relecture 1999-mai 2025
Le livre du Diable n’est qu’une des célèbres métaphores
pour le non moins célèbre Talmud. En 1320, le pape Jean XXII ordonna que chaque
exemplaire de ce livre hérétique fût saisi et brûlé sur le bûcher.
On sait qu’à cette époque, dans tout l’archipel
chrétien, les soldats des postes de douane fouillaient les caravanes des Juifs,
passant en revue la marchandise de contrebande, soies, peaux et épices sans y
toucher, sauf par cupidité personnelle, et que les saint-bernard, à l’affût du
« manuscrit du diable », flairaient les caftans gras des marchands
barbus et fourraient leur museau sous les jupe des femmes épouvantées, jusqu’à
ce qu’ils déclenchent une épidémie de rage, mordant même les marchands
chrétiens et furetant sous les soutanes des pèlerins innocents, des prêtres et
des sœurs qui faisaient le trafic de poisson séché et de brie de Catalogne,
connu dans le peuple sous le nom de « crotte du diable. »
La chasse au Talmud ne s’arrêta cependant pas là ;
Jean Gui, surnommé « en fer », saisit et brûla, pour la seule année
1336, deux chargements entiers du livre incriminé, alors que les effets de son
action avant et après cette date restent malheureusement inconnus des
chercheurs contemporains.
Ce Jean Gui, « en fer », dont les adversaires, — pour l’association sonore sans doute et aussi par jalousie, prononçaient et écrivaient le nom comme « enfer », —se montra, semble-t-il, trop zélé et commença, en plus du Talmud, à brûler d’autres livres et même des personnes non citées dans l’Index officiel du pape, raison pour laquelle il fut un temps l’objet de la pression du clergé, qu’il épouvantait et qui suivait, lui, les instructions du pape et de Dieu. On sait que Jean Gui, « en fer », sortit vainqueur de ces luttes sanglantes et qu’il mena au bûcher la plus grande partie de ses adversaires. Il mourut, dit-on, à demi fou, dans sa cellule de moine, « entouré de livres et de chiens. »

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