Source : Le Kali-Yuga ou l’ambivalence de l’âge sombre par Dominique Wohlschlag, éditions de l’Harmattan, collection Théôria
Plusieurs facteurs adjacents peuvent expliquer pourquoi
l’homme moderne se sent vieux. Mentionnons au moins ce fait que depuis la
création de l’homme, voire depuis son « apparition » comme la
qualifient les scientifiques, la conscience humaine n’a cessé d’accumuler des
souvenirs des temps anciens qui se sont comme empilés les uns sur les autres et
que cette circonstance contribue certainement à accentuer le sentiment d’un
vieillissement de l’humanité.
L’exemple de la Grèce est à cet égard des plus
frappants. Car peu après avoir, à l’image de l’Inde, introduit une méditation
« mythologique » sur le temps, elle crée parallèlement avec Hérodote
(cinquième siècle) la notion d’histoire au sens actuel et étymologique
« d’enquête » sur le passé, engendrant ainsi, en mode
« occidental », une autre forme de bilan de vieillesse caractéristique
du kali-yuga. Dès lors, l’invention de l’écriture aidant, la « matière
historique » ne fera que s’accroître. Un Tite-Live n’avait que sept cents
ans d’histoire à raconter à partir de la fondation purement légendaire de Rome.
Après quoi, le temps a accumulé deux millénaires de « faits divers », alourdissant notre imaginaire d’une foule hétéroclite d’informations, pour le meilleur et surtout pour le pire. L’acmé de cette dérive a probablement été atteinte dans l’industrie cinématographique. Depuis plus d’un siècle, cette dernière représente le moyen le plus spectaculaire et le plus efficace d’instrumentaliser l’histoire au service d’idéologies dominantes au mépris de toute exactitude culturelle. Relevant que les dictatures ont mieux compris le pouvoir de ce média que les démocraties, l’historien Jean Tulard remarque en sus que : « Tous les dictateurs du vingtième siècle ont été des cinéphiles et tous ont encouragé le film historique pour forger l’âme des peuples qu’ils asservissaient par ailleurs. »

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