Source : La Philosophie de l’inégalité et les idées politiques de Nicolas Berdiaev, par Marko Markovic, préface de Jean Rouvier, Nouvelles Éditions latines
La théogonie de Jacob Boëhme consiste en la naissance
extratemporelle de la lumière divine dans l’Ungrund. « Ce qui se produit
dans l’éternité se reflète dans le temps, dans le processus temporel du monde.
Dans le processus cosmogonique et anthropogonique
s’allume la lumière qui vainc l’obscurité et le chaos. » Il s’ensuit que
la société humaine connaîtra elle aussi la lutte entre le principe de la
lumière et celui des ténèbres. Berdiaev n’en tire pas d’autres conséquences et
passe sous silence l’étroite parenté entre Boëhme et la Kabbale. Mais même ainsi
circonscrite l’influence de Boëhme donne un sens différent à la lutte entre le
cosmos et le chaos.
Il ne s’agit plus de la lutte contre le monde déchu
sous l’emprise du péché, mais contre une force obscure surgie du néant,
préexistant au péché et à la Chute. Est-ce au moins une lutte contre le
mal ? Boëhme considère à la fois que Dieu n’est pas responsable du mal qui
a sa racine dans l’Ungrund, mais qu’il porte en lui le principe du mal parce
qu’il contient l’Ungrund. En outre, cette lutte contre le bien et le mal en
Dieu est nécessaire, car c’est à travers elle que s’affirment la lumière et le
principe du Bien, l’Être étant l’union des opposés. Il se trouve que c’est, à
quelques différences près, la doctrine kabbalistique qui voit en Dieu la source
du mal, comme le Talmud d’ailleurs.
Quelques années plus tard, Berdiaev précisera en quoi il se sépare de Boëhme : « L’erreur de Boëhme a été de situer l’Ungrund, le principe des ténèbres en Dieu même. Il faut distinguer le Néant divin et le non-être en dehors de Dieu. »

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