Travail du négatif

 

« Chacun saura qu’il est mortel, sans espoir de résurrection, et se résignera à la mort, avec une fierté tranquille, comme un dieu. » (Dostoïevski : La Légende du Grand inquisiteur) Tout se passe comme si, dans une sorte de prophétie de Dostoïevski, Kojève devenait la part démoniaque de Soloviev. Devant cette prise de conscience que l’homme est le mal, parce que sa liberté n’est pas un choix entre deux biens, mais la négation du plus grand bien, la vie donné, l’acceptation fière de la mort comme le plus grand bien, Kojève ne fera pas demi-tour. Au contraire, il en portera les couleurs en déclarant sans ambages que « l’homme s’engendre dans le meurtre ou, du moins, dans une tentative d’assassinat. » Ce qui signifie qu’au fond de l’homme ne se trouve pas la vie, mais le crime. Kojève revendiquait avec sa Sophia ce devant quoi Soloviev avait plié : l’enfantement de l’humanité dans l’affirmation d’une liberté doublement diabolique, à savoir insensée sur le plan biologique, dans l’asservissement de son prochain, et impie sur le plan de la pensée puisqu’elle va jusqu’à être volontairement, consciemment et définitivement, on pourrait dire fièrement, théomaque et décide, puisqu’elle va jusqu’à refuser la Providence comme une aliénation de l’humanité envers la vie.

Rambert Nicolas : Kojève et la philosophie russe

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