« Tôdi di m’fôte ! »

 

Source : Carl Schmitt, biographie politique et intellectuelle par David Cumin, éditions du Cerf, collection Passages.

Le juriste s’est comparé à Job. Cette comparaison est révélatrice de son augustinisme, en même temps qu’elle permet de cerner sa personnalité à cette époque critique de sa vie, en 1945-1949, où il songeait à se retirer au monastère.

Qui était Job ? Un serviteur de Dieu dont la fidélité fut mise à l’épreuve par le malheur. Ignorant qu’il avait péché, Job se heurtait au mystère d’un Dieu juste qui afflige les justes, d’où son tourment. Il cherchait en vain le sens de son épreuve qui luttait désespérément pour retrouver Dieu qui se dérobait et qu’il persistait à croire juste, et qui finalement le sauva. L’intervention du Seigneur, dévoilant sa transcendance absolue, montra que les hommes doivent persévérer dans la foi et ne pas douter de Dieu, infiniment sage et tout-puissant. Tel Job, Carl Schmitt était donc à la fois « juste », sa cause était juste, et « éprouvé » ; il avait « péché » comme ile le dit lui-même.

Armé de cette conviction, il refusa de répondre au questionnaire de dénazification que lui soumit son collègue Spranger. On lui demandait de devenir transparent. Or, comme il l’écrit dans Ex Captivitate Salus, « ma nature aime bien n’être pas tout à fait transparente ; elle aime être impénétrable, de toute façon, elle est défensive. » Il nomme l’accusateur, Diabolus, celui qui questionne, qui est imbu d’avoir raison et d’être dans son droit, qui a de son côté la justa causa et la res judicata : « En tant que juriste, je sais ce que cela signifie. Dans l’évangile selon saint Matthieu (4, 1), le diable, c’est l’Accusateur, le Calomniateur, celui qui s’applique à mettre les hommes en faute et qui contrecarre donc l’œuvre du Christ.

On demandait à Schmitt de répondre à la question : qui es-tu ? Voici sa réponse : « Je regardai mon interrogateur dans les  yeux et me disais : qui es-tu, toi qui m’interroges, toi qui me mets en cause ? D’où vient ta supériorité ? Quelle est la nature de la puissance qui te donne pouvoir et t’encourage à me poser cette question ? » Plus loin, il écrit : « Qui est mon ennemi ? Celui qui me met en cause. » Spranger, Kemper, le gouvernement militaire, instance, dit-il, qui se pose devant les Allemands comme un juge d’instruction devant un criminel présumé, sont donc les figures de l’Ennemi.

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