C'est la vie

 

La grande couleuvre peu farouche qui se déroule sur la pierre et disparaît dans les rosiers, noire cerclée de blanc, vénérable, lente comme un centenaire ou vif-argent comme un diable, mange les souris. Les souris mangent nos biscuits et nos grains empoisonnés, qui coagulent leur sang dans leurs terriers. Le hérisson dont nous avons touché les aiguilles du bout des doigts sans nous piquer, alors qu’il tremblotait de peur tout recroquevillé dans son buisson, sans laisser voir son museau, mange des mulots. Le crapaud mange des mouches et des petits insectes qu’il lape rapidement pour les mâcher ensuite pendant des heures dans la poche de son goitre. Le faucon pioche le crapaud. L’homme mange des animaux, des agneaux, des cochons de lait, des entrailles, des cervelles, des reins et des rognons blancs, des cœurs, des poulpes, des batraciens frits, des organismes palpitants, des huîtres crues. Le sida, microscopique et virulent, mange l’homme, ce géant.

Hervé Guibert : Le Protocole compassionnel

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