Source : La Conscience de Staline, Kojève et la philosophie russe, par Rambert Nicolas, éditions Gallimard, collection Bibliothèque des idées, recommandé par Neûre aguèce.
D’après Soloviev, l’humanité originelle a décidé pour
exister à part entière de se séparer de Dieu, de faire le choix non d’une vie
éternelle, mais de l’affirmation de soi contre cette dernière. En dernière
instance, l’homme a fait le choix de ce qui n’est pas, du non-être, l’autre nom
que l’on donne à la mort. C’est un choix insensé, puisque non seulement c’est le
choix de ce qui n’est pas, mais en plus c’est un choix qui lèse notre
bien-être.
En le faisant, en refusant Dieu, l’homme se crée
lui-même un monde, son monde, traversé par le non-être qu’il a choisi
d’incarner. Par conséquent, c’est moins un choix qu’une négation de ce qui est
déjà éternellement donné. C’est la démonstration de la liberté comme négation,
la plus haute, celle de Dieu et de son ordre dans lequel, au préalable, on se
trouvait inscrit. Passé au niveau le plus haut, cela signifie refuser la vie
même, y compris une vie de l’au-delà, c’est-à-dire être en mesure de refuser
Dieu en personne ; Néanmoins, ce refus de Dieu, c’est-à-dire cette liberté
pleine et entière engendrant l’homme de façon authentique comme sujet autonome
sur fond de non-être ou de mort, Soloviev en fait une catastrophe. Ce
n’est qu’à la fin de son existence qu’il a pu concevoir que ces derniers
préfèrent leur refus de Dieu, et donc l’affirmation d’eux-mêmes, à la vie
éternelle.
Ainsi, s’il avait pu affirmer à vingt ans qu’il ne croyait pas au diable, à la fin de sa vie, il comprenait que l’homme est le diable, est cet Antéchrist qui préfère le non-être dans la mesure où cela marque son existence libre, débarrassée de toute tutelle. Et, ce point qui l’avait fait sombrer dans le pessimisme (l’homme ne voulait pas conjurer la mort, car il l’aimait comme étant sa propre identité), Kojève la revendiquait.
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