Petit couple

 

Ill. : Kelleck. Source : Léon Bloy par Maurice Bardèche, éditions de la Table Ronde, troisième relecture, un livre important.

Le 18 décembre 1879, l’horizon nouveau apparaît tout entier surmonté du nuage qui annonce la tornade qui va se déchaîner. « Ma vie présentement, écrit Léon Bloy au comte de Lorgues, n’a plus d’autre objet que la gloire de Notre Dame des Sept Douleurs, apparue à La Salette dans une auréole de larmes lumineuses. » Pensée en apparence très saine, louable, parfaite, un peu inquiétante toutefois. Car, aussitôt après, sans avertissement, sans prélude, l’hallucination par absorption d’exégèse se déclare : « Je suis né le 12 juillet 1846, et c’est soixante-huit jours avant cette divine manifestation, et c’est juste le nombre des frères du fidèle Oberdedom choisis avec lui par le roi David, pour être les gardiens de l’Arche d’Alliance. » C’est fini, le mécanisme vient de se déclencher, c’est le commencement de l’aventure. Enters the ghost, dit Shakespeare.

Cette annonce du héraut d’armes nous fait entrer dans la lice : mais dans une autre lice que celle qu’il avait balisée. Dans la lettre du 18 décembre que nous venons de citer, Léon Bloy, déjà, nous annonce qu’il écrit sous la dictée. Il entend des voix. C’est la Sainte Vierge elle-même qui prend sa place. « Elle est entrée avec les neuf mille anges de sa garde dans ma tanière. Maintenant, je ne suis plus chez moi. J’écris je ne sais quoi et je ne sais comment. Quel incroyable choix la Sainte Vierge a voulu faire. » 

La Sainte Vierge dans cette affaire avait été précédée d’un appariteur que Bloy oublie de nommer. C’est l’abbé de Moidrey qui, en tête de son interprétation du Livre de Booz, avait mentionné ces dix-huit frères du fidèle Obededom, annonciateurs des dix-huit siècles qui séparaient la naissance du Christ de la réapparition solennelle de la Sainte Vierge sur terre, ouverture de la venue du Consolateur, commencement de l’événement attendu par Hello. Ainsi se rejoignaient les deux sources qui allaient former pour Bloy un seul torrent.

Il n’est pas seul dans cette découverte. Il a auprès de lui une pythonisse qui suit avec passion cet opéra du surnaturel. Anne-Marie, suggestionné par Léon Bloy, abîmée dans la prière, ruisselante de pleurs, reçoit aussi souvent que lui les confidences de la Sainte Vierge, les compare, les confronte. Sa nature hystérique en fait une sibylle : elle déchiffre, elle lit des mots écrits sur les murs. 

Et ils se communiquent tous les deux leurs découvertes, émerveillés de tous les sens inattendus qu’on peut donner aux paraboles bibliques ; mais ce qui est plus dangereux, lisant l’avenir, et, non pas comme Nostradamus un avenir brumeux suspendu dans les siècles futurs, mais un avenir immédiat, des catastrophes précises, certaines, programmées pour les semaines à venir.

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