« Metam prosperamus ad unam »

 

Ill. : Karl Wilhelm Diefenbach. Source : Nouvelles histoire des francs-maçons en France, des origines à nos jours par Alain Bauer et Roger Dachez, éditions Tallandier, collection Texto

Le rite de Misraïm était censé avoir vu le jour dans les humides ruelles de Venise. C’est dans les allées inextricables des marchés du Caire que serait né celui de Memphis. Le romantisme aidant, en cette période de redécouverte de l’Égypte oubliée, toutes les légendes étaient envisageables. Un certain Gabriel-Mathieu Marconis, négociant à Montauban, y aurait ainsi déjà créé une loge des Disciples de Memphis dès 1815, aidé par un authentique Cairote détenteur de secrets séculaires.

Mais rien ne vient confirmer cette fondation lointaine, et notons-le, curieusement située à une date contemporaine de l’introduction du Rite de Misraïm. Il este que le fils du marchand Jacques-Etienne Marconis, né en 1795, qui ajouta au nom paternel le patronyme de sa mère pour se faire appeler Marconis de Nègre, supposé avoir reçu de son père archives et dignités, n’entreprit de faire connaître son rite qu’à partir de 1838, au moment où l’étole de celui de Misraïm avait fâcheusement pâli. Il fut le véritable apôtre de la maçonnerie égyptienne au cœur du dix-neuvième siècle, réussissant sur bien des points là où les Bédarride avaient échoué. S’il n’y a entre eux aucune filiation, ni similitude de l’esprit, ni proximité des sources, il y a réellement de la part de Marconis, reprise d’un concept et surtout d’un chantier laissés dans un relatif abandon.

Du reste, Marconis, initié dans une loge de Misraïm en 1833, venait d’être radié, pour la seconde fois, en 1838, l’année même où il fonda à Bruxelles la loge de la Bienveillance, puis à Paris celle qui porterait le nom d’Héliopolis. Le 7 juillet de la même année, il fut « élu » grand hiérophante de son rite, tandis qu’en octobre, il installa le sanctuaire de Memphis rassemblant les patriarches conservateurs d’un système désormais pourvu de 95 grades.

L’année suivante, enfin, Marconis publia l’ouvrage fondateur du rite : L’Hiérophante, développement complet des mystères maçonniques. Égratignant au passage le Rite de Misraïm qui n’a, dit-il, « d’égyptien que le nom », il rattache en revanche le sien à la doctrine ancestrale transmise depuis Ormus, prêtre de Memphis, jusqu’à l’époque moderne.

Le nom de cet obscur et pourtant illustre initié avait déjà été employé, à la fin du dix-huitième siècle par les Rose-Croix d’or d’ancien système, un réseau paramaçonnique d’inspiration rosicrucienne et alchimique qui connut un certain succès en Allemagne entre 1775 et 1785, et qui attribuait sa doctrine à un prêtre égyptien du premier siècle de notre ère, Ormus, supposé avoir reçu le baptême de Marc et incarnant ainsi l’alliance de l’ancienne sagesse de l’Égypte et de la Révélation chrétienne. À l’époque de Marconis, les Rose-Croix d’or avaient disparu depuis plus de cinquante ans. En réutilisant un nom désormais « libre de droits », le Rite de Memphis s’assurait à peu de frais une ancienneté appréciable.

Les rituels des grades égyptiens ont des sources diverses, autant que pure l’être les connaissances des multiples fondateurs ou refondateurs de la maçonnerie égyptienne elle-même. Leur apparition tardive a toutefois obligé leurs auteurs à inclure, intégrer et admettre les nombreux grades que la tradition maçonnique avaient déjà produits tout au long du dix-huitième siècle, pour leur en ajouter de nouveaux, d’où une inexorable ascension pyramidale, jusqu’aux vertigineuses hauteurs de 90 ou 95 grades.

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