« J’aurais trop peur que ce soit un Belge »

 

Devenu une vermine, il s’enfonce dans la solitude animale, il s’approche au plus près de l’absurdité, et de l’impossibilité de vivre. Mais que se passe-t-il ? Précisément, il continue de vivre ; il ne cherche même pas à sortir de son malheur, mais à l’intérieur de ce malheur, il transporte une dernière ressource, un dernier espoir, il lutte encore pour sa place sous le canapé, pour ses petits voyages sur la fraîcheur des murs, pour la vie dans la saleté et dans la poussière. Et ainsi, il nous faut bien espérer avec lui, puisqu’il espère, mais il faut bien aussi désespérer de cet effrayant espoir qui se poursuit, sans but, à l’intérieur du vide. Et puis, il meurt : mort insupportable, dans l’abandon et la solitude, et pourtant, mort presque heureuse par le sentiment de la délivrance qu’elle représente, par le nouvel espoir d’une fin à présent définitive. Mais bientôt ce dernier espoir à son tour se dérobe : ce n’est pas vrai, il n’y a pas eu de fin, l’existence continue, et le geste de la jeune sœur, son mouvement d’éveil à la vie, d’appel à la volupté sur lequel le récit s’achève, est le comble de l’horrible, car elle aussi espère, il n’y a rien de plus effrayant dans tout ce conte. C’est la malédiction même, et c’est aussi le renouveau.

Maurice Blanchot : De Kafka à Kafka

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