Énergumène

 

Source : Léon Bloy par Maurice Bardèche, éditions de la Table Ronde, troisième relecture, un livre important.

On se demande si Léon Bloy n’a pas un désir inconscient de se noircir. Il lui faut une image dramatique de lui-même. Cette virtualité existe, bien entendu, dans toute confession, elle est « l’horreur du péché. »

Le pécheur exagère, se plaît même à exagérer la noirceur de son âme, pour renforcer d’autant les résolutions qu’il prend, son « ferme propos. » Mais, dans l’imagination de Léon Bloy, il faut que cette horreur ait quelque chose d’héroïque. Il faut qu’elle soit monumentale : non seulement qu’on la repousse, mais qu’elle épouvante ; et que ce Léon Bloy du passé ait des proportions effrayantes, qu’à distance il soit vu, et surtout représenté, comme bestial, haineux, satanique, et, dans le mal, statufié. Dans cette contrition profonde, mais exagérée, dans cette  humilité du pénitent, totale mais un peu trop sonore, reconnaissons le frère adultérin de l’humilité, l’orgueil. Il est douloureux, certes, d’être un monstre, très sincèrement douloureux, mais c’est tout de même mieux que de ne rien être du tout. De plus, il est réconfortant d’avoir été un monstre : on a vaincu la bête.

C’est une explication. il y en a une autre, celle que Léon Bloy, nous l’avons vu, suggère. C’est une explication mystique. Il croit à l’emprise de Satan. C’est l’envers du royaume de Dieu. Comme chacun de nous est guidé, protégé, dans sa marche tâtonnante vers ce royaume éternel, ainsi, inversement, Satan désigne auprès de chaque âme ses émissaires qui cherchent à l’entraîner vers l’abîme. On remarquera que cette explication n’est donnée par Léon Bloy que dans les lettres immédiatement postérieures à sa conversion qu’il présente toujours comme une victoire brusque et énigmatique, comme si son âme avait été arrachée de force à quelque détenteur maléfique.

Cette explication n’est pas reproduite dans les confessions plus tardives bien que cette certitude d’une possession démoniaque réapparaisse en 1878, au moment des premières relations avec Anne-Marie Roulé.

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