On meurt,
mais on meurt mal parce qu’on a mal vécu, on est condamné à revivre, et on
revit jusqu’à ce qu’étant devenu tout à fait homme, on devienne, en mourant, un
homme bienheureux, un homme vraiment mort. Kafka, par la kabbale et les
traditions orientales, a hérité ce thème. L’homme entre dans la nuit, mais la
nuit conduit au réveil, et le voilà vermine. Ou bien l’homme meurt, mais en
réalité, il vit ; il va de ville en ville, porté par les fleuves, reconnus
des uns, aimés de personne, l’erreur de la mort ancienne ricanant à son
chevet : c’est une condition étrange, il a oublié de mourir. Mais un autre
croit vivre, c’est qu’il a oublié sa mort, et un autre, se sachant mort, lutte
en vain pour mourir ; la mort, c’est là-bas, le grand château que l’on ne
peut atteindre, et la vie, c’était là-bas, le pays natal que l’on a quitté sur
un faux appel ; maintenant, il ne reste plus qu’à lutter, à travailler
pour mourir complètement, mais lutter c’est vivre encore ; et tout ce qui
rapproche du but le rend inaccessible.
Maurice Blanchot : De Kafka à Kafka
Commentaires
Enregistrer un commentaire