Source : Léon Bloy par Maurice Bardèche, éditions de la Table Ronde, troisième relecture, un livre important.
La
conversion de Léon Bloy ne fut pas une illumination soudaine, un coup de
foudre, mais, au contraire, une évolution. Pour comprendre cette évolution, il
faut se souvenir qu’elle fut à la fois politique et religieuse. Or, une
évolution politique n’entraîne pas nécessairement une évolution religieuse.
Alors, on peut se demander s’il n’y a pas chez Léon Bloy une origine commune,
une prédisposition, à laquelle l’adhésion politique apporte une réponse
partielle, qui ne devient complète, satisfaisante, que si une certitude d’une
autre nature la confirme.
Je crois
qu’on peut dire qu’une telle exigence primordiale existait chez Léon Bloy et
qu’elle était même l’inspiratrice de sa violence. C’était son désir passionné
de justice. Mais ses références à Herzen nous révèlent que cette justice
n’était pas complète sans le châtiment des oppresseurs. C’est cette obsession
qui avait fait de lui successivement un révolté, puis un asocial, enfin un
anarchiste révolutionnaire : sous toutes ces étiquettes, un refuznik.
Alors, n’y a-t-il pas un lien direct entre l’appel au meurtre d’Herzen et le
christianisme vengeur de Léon Bloy ?
Le nihilisme d’Herzen, celui qui prêche la mort du siècle, n’aboutit à rien qu’à une attente. La soif de justice ne sera apaisée que lorsque le peuple reprendra ses fusils. Mais quand ? Un autre prêche aussi la mort du siècle : c’est Celui qui annonce un autre Royaume, un autre dénouement. La soif de Justice est apaisée, selon Lui, avec certitude. Il n’y a pas besoin d’attendre la « rédemption » qu’Herzen appelle, Il l’apporte, la mort du siècle n’est pas un souhait, elle est, si nous le voulons, en chacun de nous.
Et la vengeance des pauvres, des déshérités, il n’y a pas besoin de l’attendre du faubourg Saint-Antoine, c’est une main beaucoup plus puissante qui en a donné le signal, le Jugement Dernier est plus sûr que toutes les insurrections. Il suffit de crier, comme les Russes, le jour de Pâques, de crier en embrassant chaque voisin, chaque prochain, qui est un frère : « Christ est ressuscité. » Léon Bloy a-t-il fait ce pari ? A-t-il remplacé le pari qu’Herzen faisait sur le prolétariat par le pari que fait tout chrétien, un pari sur la justice de Dieu ? Par une certitude qui repose sur la résurrection, au troisième jour, proclamée.
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