Chaque homme est Noé, mais si on y prend garde, il
l’est d’une étrange manière, et sa mission consiste moins à sauver toute chose
du déluge qu’à les plonger, au contraire, dans un déluge plus profond où elles
disparaissent prématurément et radicalement. C’est à cela, en effet, que
revient la vocation humaine. S’il faut que tout visible devienne invisible, si
cette métamorphose est le but, apparemment bien superflue est notre
intervention : la métamorphose s’accomplit parfaitement d’elle-même, car
tout est périssable, car, dit Rilke dans la même lettre, « le périssable
s’abîme partout dans un être profond. » Qu’avons-nous donc à faire, nous
qui sommes les moins durables et les plus profonds à disparaître ?
Qu’avons-nous à offrir dans cette tâche de salut ? Cela précisément :
notre promptitude à disparaître, notre aptitude à périr, notre fragilité, notre
caducité, notre don de mort.
Maurice Blanchot : L’Espace littéraire
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