Cheval blême

 

Turner a peint La Mort sur un cheval pâle, je repensais cette nuit à cette image, elle me revenait très précisément dans son galop, dans sa folie, j’étais moi-même ce corps renversé sur sa monture, avec ses lambeaux de chair qui s’accrochent à l’os et qu’on aurait envie de ruginer une bonne fois pour toutes pour le nettoyer, ce cadavre vivant ployé sur cette furie qui fonce dans la nuit, au pelage si chaud et odorant, brinquebalé par sa cavalcade, un squelette ligoté à la trombe du cheval, fendant l’orage, le bouillonnement du volcan, avec une main énorme qui débouche dans le tableau, un battoir de viande projeté en avant par le mouvement, et qui déséquilibre l’image. Le spectre, sur sa nudité de squelette, porte un diadème.

Hervé Guibert : Le Protocole compassionnel

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