Source : L’Espace littéraire par Maurice Blanchot, éditions Gallimard, collection Folio Essais, relecture septembre 2007-janvier 2025
L’horreur de la guerre éclaire sombrement ce qu’il y a
d’inhumain pour l’homme dans cet abîme : oui, la mort est la partie
adverse, l’opposée invisible qui blesse en nous le meilleur, par quoi toutes
nos joies périssent. Ce soupçon est fort sur Rilke que l’épreuve de 1914
dévaste de toutes manières. De là l’énergie qu’il montre pour ne pas baisser
les yeux devant l’apparition surgie des tombeaux.
Dans le Bardo Thödol, le Livre des Morts tibétains, le
mort, pendant la période d’indécision où il continue de mourir, se voit
confronté avec la claire lumière primordiale, puis avec des divinités
paisibles, puis avec les figures terrifiantes des divinités irritées. S’il n’a
pas la force de se reconnaître dans ces images, s’il n’y voit pas la projection
de son âme effrayée, avide ou violente, s’il cherche à les fuir, il leur
donnera réalité et épaisseur, et lui-même retombera dans l’égarement de
l’existence.
C’est à une semblable purification que Rilke nous invite dans la vie même, avec cette différence que la mort n’est pas la dénonciation de l’apparence illusoire dans laquelle nous vivrions, mais qu’elle forme avec la vie un tout, le large espace de l’unité des deux domaines. Confiance dans la vie et, au nom de la vie, dans la mort ; si nous refusons la mort, c’est comme si nous refusions les côtés graves et difficiles de la vie, comme si de la vie, nous ne cherchions à accueillir que les parties minimes, alors, nos plaisirs seraient minimes.
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